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Tout n’est vrai ici-bas que d’une vérité relative. Le cuirassé d’escadre, avec son blindage en acier, ses canons de 100 tonnes, ses canons-revolver Hoschkiss, ses torpilles Withehead, son éperon gigantesque, sa vitesse de 16 nœuds, peut être le plus formidable engin de destruction que la science humaine puisse produire, mais les escadres cuirassées ne sont peut-être pas, nous l’avons vu, les instrumens les plus efficaces de la guerre maritime, leur raison d’être. Qui peut dire que la sécurité de l’Angleterre (le seul point de vue où se plaçaient et Pitt et lord Saint-Vincent), n’inspire pas à leurs successeurs des craintes que les premiers ne ressentirent jamais, même quand le premier consul surveillait du haut des falaises de la Manche la transformation de son armée de Marengo en armée de débarquement et hâtait l’organisation de ses flottilles de Boulogne. C’est qu’en effet les modifications récentes apportées à la constitution de toutes les marines militaires ont amené dans la guerre maritime, et surtout dans les résultats de cette guerre, des modifications profondes, celles-là même que ces hommes d’état prévoyaient avec une sagacité patriotique qui leur dictait leur refus d’adopter l’invention meurtrière de Fulton. La suprématie sur mer, l’empire de la mer (que nul ne disputait plus à l’Angleterre après Aboukir et Trafalgar) lui appartiennent toujours ; nous l’avons montré, d’ailleurs, ils sont acquis à la nation dont la flotte cuirassée est supérieure en nombre, — et la flotte anglaise n’a pas de rivale, — mais si les mots sont restés les mêmes, combien différentes les idées que ces mots expriment !

L’empire de la mer, c’était alors, pour l’Angleterre, la sécurité de ses flottes marchandes ; c’était encore plus celle de ses côtes et des ports de son littoral : sentinelles toujours vigilantes, l’œil des vigies sans cesse tourné vers la France, les frégates, gardes avancées des escadres de blocus, suivaient tous les mouvemens de nos ports militaires et en barraient les passes d’une chaîne de fer, que, seule, la tempête détendait pour quelques instans, en les forçant à prendre le large. Nos croiseurs avaient-ils pu profiter de l’heure fugitive et longtemps attendue, leur destinée était écrite, leur croisière s’achevait bientôt en quelque lutte héroïque, suprême protestation du courage et du patriotisme contre le nombre, et nos matelots allaient peupler les pontons de Southampton et de Plymouth. Vers les dernières années du premier empire, le blocus de tous les rivages européens était effectif ; nul ne passait que par leur volonté à travers les mailles serrées des croisières anglaises.

Les courses de l’Alabama et des croiseurs confédérés ; tout récemment encore, dans la guerre sud-américaine, l’épopée du Huascar, aux ordres de l’héroïque amiral Grau, montrent ce que sont devenus aujourd’hui ces blocus autrefois effectifs ; elles disent ce que