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l’espoir de prendre part à une brillante expédition. « Je n’ai pas manqué (écrivait Valori à Polastron lui-même dans un billet intime) de dire au roi votre douleur et celle de tous les officiers laissés à vos ordres, d’être obligés d’en suivre que l’intrigue avait dictés et que la faiblesse a fait donner[1]. » Puis il essayait en termes indirects, mais évidemment dictés par l’inspiration du roi, de voir si Polastron ne consentirait pas à éluder ou à ajourner l’accomplissement de ses instructions. Polastron, qui ne se faisait pas faute de murmurer, ne crut pourtant pas pouvoir désobéir. Le comte de Saxe d’ailleurs, qui le veillait de près, ne lui aurait pas permis d’hésitation.

Le roi fut forcé de le laisser partir en lui remettant un billet pour le maréchal, conçu dans ces termes dédaigneux : « Monsieur, je vous renvoie le corps de M. de Polastron, suivant ce que vous me dites avoir des ordres du roi de France pour les retirer à vous. Je n’entre point dans la discussion du fait et je ne prétends point gloser sur la mauvaise grâce qu’il y a de retirer des troupes quand les alliés marchent à l’ennemi. Ce fait grossira l’histoire des mauvais procédés et ne manquera pas d’animer merveilleusement mon zèle pour la cause commune[2]. »

Les Français partis et l’entreprise perdant ainsi toute chance de succès, les Saxons, qui ne s’y étaient jamais associés que de mauvaise grâce, ne songeaient plus qu’à en faire autant. Des ordres formels de Dresde, instamment sollicités par Maurice, ne tardèrent pas à le leur prescrire et ils se mirent en devoir de commencer aussi leur retraite. Là-dessus nouvel éclat de fureur de Frédéric, suivi d’un échange d’explications des plus vives entre le prince irrité et Maurice. Maurice, à ses yeux, n’était, lui aussi, qu’un allié perfide, indigne du sang dont il était sorti et qui vendait sa patrie à la France. Désespérant de l’intimider, Frédéric essaya au moins de soustraire à son influence les deux généraux saxons, Rustowski et le chevalier de Saxe, qui étaient (comme lui), nous l’avons vu, deux frères naturels d’Auguste III. Il les prit à part à plusieurs reprises pour leur représenter en termes à la fois pressans et caressans que le roi de Pologne n’avait qu’une chose à faire, c’était de se jeter dans ses bras en tournant le dos aux Français : « Laissons faire la guerre aux Français en Bavière, disait-il, qu’ils y fassent des fautes, qu’ils y soient rossés, nous n’avons rien à craindre. Je joins aux troupes de votre maître quinze mille hommes et quelques milliers de hussards, et nous trouverons bien le moyen d’être ensemble

  1. Valori à Polastron, 10 février 1742. — (Correspondance de Prusse, — Ministère des affaires étrangères.)
  2. Pol. Corr., t. II, p. 35. — Frédéric au maréchal de Broglie, 11 février 1742.