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De plus endurans que le maréchal eussent perdu patience ; encore peut-on trouver qu’il n’en manqua pas, car il se borna à exprimer dans une lettre respectueuse son regret au roi de Prusse de n’avoir pu le recevoir, puis à admonester sévèrement Séchelles et à se plaindre avec amertume à Valori de l’ignorance où on l’avait laissé. Pour ne rien briser cependant, il n’interdit point à Polastron de prendre part à l’expédition tentée contre Iglau ; mais il lui enjoignit formellement, une fois cette ville rendue, de ne pas faire un pas sur le sol de la Moravie qui pût l’éloigner davantage et de son chef naturel et de sa base d’opération. Il exprimait en même temps l’espérance que le roi, mieux avisé, consentirait alors à rétrograder lui-même pour venir faire face avec lui à Neuhaus à l’armée du grand-duc. Enfin pour s’assurer que cette fois il ne serait pas pris par surprise, il détacha le comte de Saxe au camp prussien en le chargeant de surveiller l’exécution de ses ordres. Ces dispositions prises, il resta dans un état d’irritation et d’angoisse que ne tardèrent pas à accroître les plus fâcheuses nouvelles arrivées de la Haute-Autriche.

Successivement, en effet, on apprit que Torring, rencontré par les troupes autrichiennes avant d’avoir atteint Linz, avait été mis en déroute, et que Ségur, n’attendant plus de secours, s’était vu réduit à capituler. Ses troupes sortaient de Linz avec les honneurs de la guerre, mais après avoir pris l’engagement de ne plus servir en Allemagne. Le grand-duc, que Khevenhiiller, par une attention délicate pour Marie-Thérèse, avait appelé à la dernière heure, était arrivé à temps pour recevoir lui-même la soumission de la ville et y faire une entrée triomphale. La Bavière était donc ouverte et Khevenhûller était libre soit d’y pénétrer à son aise, soit de se replier sur Vienne sans perdre un pouce du terrain reconquis, ce qui était une partie de ses avantages à la diversion méditée par Frédéric.

Frédéric, informé de cet échec, ne voulut pourtant pas se départir d’une combinaison militaire dont il était épris. A peine Iglau fut-il rendu (et ce fut l’affaire de quelques jours), il annonça de nouveau tout haut l’intention de continuer sa pointe à travers la Moravie dans la direction de Vienne. Polastron dut, en conséquence, quoique bien malgré lui, exhiber ses ordres de retour (que d’ailleurs Frédéric connaissait déjà) et prit ses mesures pour les exécuter. La colère du prince ne connut alors plus de bornes et éclata avec sa violence accoutumée : M. de Broglie n’était plus qu’un traître et les Français des lâches qui lui faussaient compagnie devant l’ennemi, Dans ces sorties dont les termes n’étaient pas ménagés, il était malheureusement appuyé et par la faiblesse de Valori, qui, tout en le condamnant tout bas, se laissait traîner à sa suite, et par les regrets des jeunes officiers français dont l’imagination était séduite par