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LA PASTORALE DANS THÉOCRITE.

ironique d’un portrait qu’un peintre n’aurait qu’à transporter sur la toile :

« C’était un chevrier, et nul à sa vue ne s’y serait trompé, car il avait toute l’apparence d’un chevrier. Sur ses épaules il portait la peau velue d’un bouc fauve qui sentait la présure fraîche (il venait de s’y essuyer les mains en faisant des fromages, nous explique le commentateur ancien) ; sur sa poitrine un vieux manteau était serré par une ceinture tressée, et il tenait de la main droite un bâton recourbé d’olivier sauvage. »

J’imagine que l’original de Lycidas était un élégant, qui s’amusa fort de cette transformation, et que le seul trait exact du portrait de fantaisie tracé par Théocrite, c’est ce sourire tranquille qui distend ses lèvres entr’ouvertes et qui fait briller ses yeux, quand, avec une bienveillance légèrement railleuse, il adresse la parole à son jeune compagnon. Mais ces nuances de spirituelle ironie, ainsi que toutes les autres allusions, sont comme enveloppées par l’atmosphère vraiment champêtre où se meut toute la pièce. Virgile, cet amant si fin et si passionné de la nature, ne conserve qu’une faible part de vraisemblance pastorale dans ses églogues allégoriques, et il n’a pas d’esprit : ce n’est pas en se jouant à la surface, c’est en pénétrant au fond des âmes touchées par la douleur ou par la passion que son génie se révélera. Et déjà qu’y a-t-il de plus gracieusement tendre que cette même idylle de Gallus ? De quelle abondance de traits touchans n’a-t-il pas enrichi ses imitations, et comme son art délicat soutient sa fiction par la valeur poétique du détail ! Le détail, en effet, veut être étudié de très près chez lui comme chez Théocrite, et c’est pour cela qu’on ne peut les comparer sérieusement l’un à l’autre que le livre en main. Leurs ouvrages sont comme des pièces précieuses d’orfèvrerie, qui frappent tous les yeux par l’élégance de la forme et du dessin général, mais dont chaque ciselure réclame l’attention des connaisseurs.

À la fin de cette revue rapide des idylles bucoliques de Théocrite, nous voici ramenés à notre premier point de vue : l’inévitable influence qu’une civilisation avancée exerça sur cette idée d’un retour littéraire vers les mœurs pastorales de la Sicile. Nous avons essayé d’indiquer de quelle façon le poète emprunta à ces humbles trésors populaires que gardaient les montagnes et les vallées de cette belle île certaines formes, certaines sensations et certaines peintures. Il nous reste à parler des légendes qu’il y trouva et de l’usage qu’il en fit.

Jules Girard.