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À Prague, il manda l’intendant lui-même et le mettant sur la sellette, l’interrogea directement sur le fondement des craintes exprimées par Maurice. Sa demande très impérieuse avait déjà la forme d’une réquisition. Aux premières observations qu’on lui fit sur le danger de trop pressurer les populations : « C’est le royaume des cieux, dit-il, qui se gagne par la douceur, ceux de ce monde appartiennent à la force. » Séchelles était un intendant habile qui se piquait de surmonter les difficultés. — « Je rendrai l’impossible possible, » dit-il. Cette difficulté-là d’ailleurs n’était pas insurmontable, puisqu’il ne s’agissait que de vivre jusqu’à ce qu’on eût forcé l’entrée de la Moravie. Une fois dans cette province dont les ressources étaient intactes, la guerre pourrait quelque temps se nourrir elle-même. Frédéric obtint donc toutes les promesses qu’il voulut ; le dernier obstacle ainsi levé, il se mit tout de suite en route pour se rendre lui-même au rendez-vous qu’il assignait aux troupes alliées[1].

À travers toutes ces allées et venues, il n’y avait qu’une seule personne qu’on avait négligé de consulter, et peu s’en faut même d’avertir. C’était le commandant en chef de l’armée française. Le maréchal de Broglie, pourtant, n’avait pas manqué d’envoyer à Dresde un de ses officiers pour remercier Frédéric de son intervention, dont, au premier moment, il ne pouvait deviner la nature. Mais dès que, par le retour de cet envoyé, il apprit qu’il s’agissait, non de lui venir en aide, mais de démembrer son armée pour en emmener une partie loin de sa vue et hors de sa direction, son déplaisir et sa surprise furent extrêmes, et il ne perdit pas un instant pour les faire connaître à Valori. Rien n’eût été plus aisé que de le mander lui-même à la conférence de Prague, Pisek n’étant séparé de la capitale que par quelques heures de route. Frédéric n’eut garde d’en faire la demande, et si Valori y songea, il n’osa braver la crainte du conflit qui pouvait résulter de l’entrevue. Bref, le résultat fut que le maréchal apprit tout à la fois que le roi de Prusse était venu à trois heures de son camp sans le prévenir pour donner des ordres à l’intendance française et parti sans lui donner davantage signe de vie pour se mettre à la tête d’une division de l’armée française[2].

  1. Séchelles au maréchal de Broglie, 21 janvier 1742. — (Ministère de la guerre.)
  2. Valori, dans ses Mémoires, s’efforce d’établir que le maréchal de Broglie avait donné son consentement au plan de Frédéric et ne le retira que d’après les conseils et sur l’instigation de Maurice de Saxe. La correspondance du maréchal fait voir au contraire qu’il retira le consentement (qu’il avait donné avec empressement) dès qu’il sut que le dessein de Frédéric était de marcher sur Vienne et non de lui venir en aide pour combattre le grand-duc.