Ces inductions se tirent de Théocrite lui-même. Nous n’avons point d’autres sources d’information : de copies très perfectionnées et très personnelles, il faut remonter aux originaux perdus. Et le fait est qu’on croit saisir chez le poète bien des élémens naturels qu’il a transformés et plies à ses combinaisons. Il ne les emprunte pas seulement au bucoliasme ; il les prend en général dans la vie champêtre et les fait tous entrer dans des compositions tout entières de lui. Lisez, par exemple, la chanson de moissonneurs qui termine la xe idylle :
Déméter, déesse des fruits abondans, des nombreux épis, puisse ce travail être facile et la moisson productive !
Serrez vos gerbes, botteleurs, de peur qu’un passant ne dise : « Les lâches ! voilà bien de l’argent perdu ! »
Tournez la coupure des chaumes vers Borée ou vers Zéphyre : ainsi l’épi s’engraisse.
En battant le blé sur l’aire, fuyez le sommeil de midi : c’est l’heure où la paille se fait le mieux.
Commencez la moisson quand s’éveille l’alouette, cessez quand elle s’endort, reposez-vous pendant la chaleur.
Heureuse, mes enfans, la vie de la grenouille ! elle ne s’inquiète pas de celui qui verse à boire ; elle a de quoi boire en abondance.
Tu ferais mieux de nous cuire des lentilles, surveillant cupide, au lieu de te couper les doigts en sciant des grains de cumin.
Ce chant de Lityersès, comme l’appelle le moissonneur qui le chante, n’a rien de mythologique ; c’est à peine de la poésie. Ces apophtegmes et ces moralités, ces malices rustiques, sans le plus humble élan d’imagination ni la moindre intention de grâce, c’est la vie même de l’ouvrier de la campagne ; ce sont ses idées courtes, ses sensations renfermées dans le travail mercenaire qui le courbe sous le soleil ardent. C’est là précisément ce qu’a voulu rendre Théocrite ; il a voulu d’abord nous donner en quelques vers l’impression directe de la réalité champêtre. Il a voulu encore autre chose, et puisque nous sommes amené en premier lieu à cette idylle, indiquons tout de suite quelles oppositions, quelles nuances, quel art d’arrangement donnent son caractère et sa valeur à une des plus simples compositions du poète. Il met en scène deux personnages de nature très différentes, qui se font ressortir naturellement : l’un, celui que nous venons d’entendre, est défini par sa chanson autant que par son langage ; c’est un rude ouvrier, tout à sa tâche ; l’autre, de la même condition, est un poète amoureux. Depuis onze jours qu’il aime, il n’a plus le cœur au travail ; en ce moment même,