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dans cette pente naturelle qui entraîne en général la poésie vieillissante vers la description. On ne peut guère se dissimuler que c’est là un effet de la décadence. On décrit, nous ne le voyons que trop aujourd’hui, quand on n’a plus la force d’inventer ni de composer ; on remplace l’inspiration par l’analyse ; on suit servilement la réalité au lieu de la plier à sa pensée propre, et on lui demande ce qu’on ne trouve plus en soi-même.

Il est très vraisemblable que l’épopée est devenue de bonne heure en grande partie descriptive ; elle l’est déjà dans le grand fragment hésiodique connu sous le nom de Bouclier d’Hercule, où la recherche du détail et de l’extraordinaire sépare profondément cette curieuse imitation d’Homère du modèle qu’elle prétendait suivre et peut-être dépasser. L’école d’Hésiode, par la nature des sujets qu’elle affectionnait, et les poèmes généalogiques ou ethnographiques qui se rattachent à cette école, tendaient naturellement à remplacer l’intérêt dramatique par un intérêt de curiosité. Au lieu de se fondre dans un grand ensemble, il paraît probable que les tableaux et les descriptions y étaient plutôt traités isolément. Si nous avions les épopées cycliques, sans doute, au milieu d’incontestables beautés qui n’ont été perdues ni pour la tragédie grecque ni pour l’épopée latine, nous y relèverions aussi cette même cause d’infériorité par rapport aux poèmes homériques. Les jugemens d’Aristote et l’indifférence relative de la postérité semblent autoriser cette supposition, inégalement applicable, bien entendu, à des œuvres très différentes d’âge et de valeur. À mesure que l’on descend vers les temps historiques, le caractère descriptif se marque avec plus de certitude. L’Héracléide, de Pisandre, formée nécessairement d’une succession d’aventures, se distinguait, nous dit-on, par le goût du pittoresque. Panyasis, soit en traitant à son tour le même sujet, soit dans le poème où il racontait les migrations des Ioniens en Asie-Mineure, ne pouvait donner de même que des séries de narrations et de tableaux : il s’agissait pour lui de renouveler ou de soutenir l’intérêt par le détail. D’après les critiques de Plutarque et de Quintilien, nous voyons que c’était encore le détail qui, dans la Thébaïde d’Antimaque, suppléait, pour des juges trop indulgens, à l’absence de composition, de passion et de naturel. Il semble, il est vrai, que ce détail consistait surtout dans les recherches d’une élocution tendue et redondante ; mais, chez ces natures plus laborieuses qu’inspirées, un excès ne va guère sans l’autre. Avec les Argonautiques d’Apollonius, dont le nom va bientôt après celui de Théocrite illustrer la période alexandrine, il n’y a plus matière à aucun doute : l’abus du détail descriptif y règne souverainement.

Bornons-nous à rappeler pour la poésie lyrique, qu’au même temps où ces beaux ensembles musicaux, créés à la fois par l’in-