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LA PASTORALE DANS THÉOCRITE.

dans un riche développement des Thalysies. Mais laissons cette imitation, et afin de mieux montrer ce qui manque à ces tableaux hésiodiques pour être de vraies idylles, c’est-à-dire un cadre dramatique avec des personnages et certaines formes symétriques d’exposition, renvoyons plutôt à un des fragmens dont est composée la ixe idylle ; ces deux thèmes de l’été et de l’hiver y sont repris dans de légères esquisses d’un caractère très marqué. Daphnis et Ménalcas, dans deux petits couplets égaux, qui se répondent par la nature des idées et l’exact rapport des deux terminaisons, célèbrent tour à tour les simples jouissances d’un bien-être tout pastoral, pendant que sévissent les deux saisons extrêmes. On y sent tout de suite ces conventions particulières et en même temps ce goût de réalité intime et cette recherche de couleur qui sont propres au genre bucolique. Lisez après cela, si vous voulez, quelque description analogue de la poésie alexandrine, par exemple cette petite pièce de Méléagre sur le printemps qui charmait Sainte-Beuve et dont il a essayé de rendre[1] les grâces fleuries par une traduction littérale. C’est un fort joli morceau de poésie légère, bien grec encore par la délicatesse et par l’esprit. La conclusion surtout, — cette reprise de tous les effets du printemps aboutissant au poète lui-même, — est charmante par le tour comme par l’idée : « Si les chevelures des plantes s’épanouissent heureuses, si la terre fleurit, si le berger joue du chalumeau,… comment ne faut-il pas que le poète aussi chante un beau chant au printemps ? » Mais il n’y a plus rien ici de l’idylle de Théocrite, ni sève, ni couleur, ni forme.

La même conclusion est vraie des beaux vers de Virgile et d’Horace sur la campagne, quelque profondeur de sentiment qui les inspire. Qui a mieux senti et mieux rendu qu’Horace la langueur de tous les êtres et l’accablement muet de la nature au milieu du jour dans les contrées méridionales ?

Jam pastor umbras cum grege languido
Rivumque fessas quærit,…
.....caretque
Ripa vagis taciturna ventis.

Et c’est un pâtre, tel qu’il en voit dans la Sabine ou qu’il en voyait enfant sur les penchans des montagnes de la Lucanie, c’est un des personnages de Théocrite qu’il nous met sous les yeux. N’est-ce pas lui aussi qui s’écrie : O rus, quando te aspiciam ! exprimant ainsi le sentiment qui est comme le sous-entendu perpétuel de l’idylle grecque, la fatigue de la ville et de ses mœurs ? Il est clair

  1. Dans son article sur Méléagre.