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ter ce que pouvait être une création littéraire au iiie siècle avant Jésus-Christ et sous l’influence de la cour de Ptolémée Philadelphe ou de celle d’Hiéron II. Ne nous hâtons pas d’en conclure que Théocrite, comme tous les alexandrins, appartienne à la décadence ; pour ma part, je serais plutôt disposé à voir en lui le dernier des classiques ; mais il est évident que le genre qu’il a inventé est d’un ordre secondaire et qu’il fut, dès l’origine, destiné à satisfaire un besoin particulier de l’imagination, né d’un état de civilisation avancé.

Ce second fait a été plus d’une fois mis en lumière. Souvent on a remarqué cette contradiction naturelle, qui, aux âges de trouble et de fatigue morale, ramène volontiers les esprits vers des images idéales d’innocence et de simplicité rustique, ou du moins vers les calmes et fraîches beautés de la nature champêtre. Il faut ajouter qu’alors cette simplicité de la nature ou de la vie naturelle n’est pas conçue simplement. On sait trop ce que l’on sent et ce que l’on veut sentir ; au sentiment on mêle des élémens conventionnels, une recherche d’élégance, souvent de l’affectation, quelquefois une nuance de passion enthousiaste ou rêveuse. Comme tout cela ressemble peu à ce qu’éprouvent aujourd’hui les vrais paysans et à ce que pouvaient éprouver les hommes qui, aux âges primitifs, vivaient d’une vie réelle au milieu de la nature, sous son impression directe et exclusive ! Une partie de ces délicatesses et de ces raffinemens ne pouvait manquer de se trouver chez Théocrite ; son temps et la société pour laquelle il écrivait les lui imposaient nécessairement. Pour les mêmes causes, le succès dans les grandes compositions lui était interdit.

Veut-on saisir sur le fait les mœurs au milieu desquelles il lui faut vivre, il suffit de lire les pièces qu’il adresse aux souverains d’Alexandrie et de Syracuse ; on ne reconnaît que trop, à l’encens qu’il leur prodigue, sa condition de poète de cour. On est en plein dans les apothéoses et dans la mythologie galante. Ptolémée est un demi-dieu dont la naissance a réjoui et honoré l’île de Cos, comme Délos fut sanctifiée par celle d’Apollon ; son mariage avec sa sœur Arsinoé est une répétition de l’Hiérogamie, l’union sainte des enfans de Rhéa, Zeus et Héré ; son père, Ptolémée Soter, habite maintenant un palais d’or dans la demeure de Zeus ; sa mère, Bérénice, comblée des dons d’Aphrodite, a reçu, comme dernier présent, un temple avec le partage des honneurs de la déesse. Et, en effet, que peut dire le poète, lorsqu’en réalité le roi fait rendre les honneurs divins à ses parens, dont les statues en or et en ivoire reçoivent les hommages des fidèles ? Le petit poème adressé à Hiéron laisse une impression plus satisfaisante de délicatesse ingénieuse et spirituelle ; mais c’est une requête dans le genre de celles que Marot adressera à François Ier. Les Grâces, ses compagnes et ses messagères, craignent d’échouer dans leur mis-