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absolument passé sous silence, et c’est celui-là, même qui avait causé à l’auteur d’abord cette joie, puis cet embarras : c’est la paix conclue par Frédéric avec Marie-Thérèse en dehors de tout concoure et sans le moindre souci de ses alliés. J’ai cherché vainement la moindre allusion à cette résolution capitale, à la date où la mention en eût été nécessaire, ne fut-ce que pour rendre intelligible la suite des événemens. Je souhaite qu’un autre soit plus heureux dans cette recherche, tant j’ai eu de peine à en croire mes yeux. Frédéric, en guerre avec Marie-Thérèse au chapitre VI, se retrouve en paix avec elle au chapitre IX sans que le narrateur ait pris soin de nous dire à quel moment et dans quelles conditions l’accord entre les deux souverains s’était rétabli. Si c’est une distraction, c’est certainement une des plus étranges qui aient échappé à un historien.

Ce silence a plusieurs inconvéniens, entre autres de nous laisser ignorer l’opinion de Voltaire sur quelques points, que, bien informé comme il l’était, il aurait pu traiter avec autorité. Il eût été intéressant de savoir, par exemple, ce qu’il pensait de la seule excuse alléguée par Frédéric pour justifier sa conduite à l’égard de ses alliés. On sait en quoi cette justification a consisté : aux reproches déjà faits par ses contemporains et à ceux qu’il attendait de la postérité Frédéric a toujours répondu que, s’il avait quitté la France en pleine campagne, c’est qu’elle était prête à lui jouer le même tour ; il était sacrifié s’il n’eût pas pris les devans par une représaille anticipée qui n’était qu’un acte de défense légitime. Ayant affaire à des trompeurs, il fallait les payer d’avance de leur monnaie pour n’être pas leur dupe. Quel fondement a une telle allégation ? J’ai eu la curiosité d’élucider ce point délicat au moyen de toutes les informations que peuvent nous fournir les documens originaux soumis aux procédés de la critique la plus rigoureuse. Je mettais quelque prix à établir la vérité, moins encore pour la parfaite intelligence des faits et des caractères que pour saisir en quelque sorte sur le fait et comme en flagrant délit ce que j’ai dit de l’étrange manière dont on nous apprend l’histoire du XVIIIe siècle.

Dans combien d’historiens, en effet, lirez-vous encore aujourd’hui, comme avérée et authentique, la petite anecdote suivante : « À l’affaire de Chotusitz, le général autrichien Pallandt (l’on va jusqu’à le nommer par son nom) fut fait prisonnier sur le champ de bataille. Frédéric lui ayant rendu une visite de courtoisie, l’Autrichien lui exprima ses vœux pour une prompte conclusion de la paix, en l’avertissant que, s’il ne se hâtait pas d’y procéder lui-même, il serait devancé par la France. Le roi lui ayant demandé la preuve de son assertion, un courrier fut sur la demande de Frédéric dépêché à Vienne et moins de six jours après (on dit encore ici un chiffre exact) il rapporta le texte original d’une lettre du cardinal de Fleury, par