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moi, au roi de Prusse, une lettre dont les expressions sont falsifiées. Si je l’avais écrite telle qu’on a la cruauté de la publier et telle qu’elle est parvenue, dit-on, entre vos mains, je mériterais votre indignation ; mais si vous saviez, Madame, quelle est depuis six ans la nature de mon commerce avec le roi de Prusse, ce qu’il m’écrivit avant cette lettre et dans quelles circonstances j’ai fait ma réponse, vous seriez véritablement indignée de l’injustice que j’essuie, et je serais aussi sûr de votre protection que vous l’êtes d’être aimée et estimée de tout le monde. Il ne m’appartient pas de vous fatiguer de détails au sujet de cette lettre que je n’ai jamais montrée à personne et de toutes celles du roi de Prusse. Si je pouvais un jour, Madame, avoir l’honneur de vous entretenir un quart d’heure, vous veniez en moi un bon citoyen, un homme attaché au roi et à sa patrie, qui a résisté à tout dans l’espoir de vivre en France, un homme qui ne connaît que l’amitié, la société et le repos. Il veut vous devoir ce repos, Madame ; la France lui est plus chère depuis qu’il a l’honneur de vous faire sa cour, et ses sentimens méritent votre protection ; » — « Quand Votre Eminence, écrivait-il en même temps au cardinal de Fleury, verra la lettre que j’ai écrite au roi de Prusse et qu’il me renverra paraphée de sa main, elle verra si j’ai écrit celle qu’on m’a cruellement imputée et avec quelle malice noire elle est falsifiée ; elle connaîtra mon innocence et l’infâme imposture sous laquelle j’ai été accablé. Je suis attaché personnellement à Votre Eminence, et on ne peut avoir eu l’honneur de lui parler sans lui être dévoué[1]. »

Bien entendu, Voltaire ne demanda point à Frédéric de lui renvoyer sa lettre paraphée, ce qui, je crains, n’aurait pas avancé ses affaires. Mais, fut-ce l’estime dont il assurait Mme de Mailly ou bien le dévoûment personnel qu’il jurait au cardinal qui conjura l’orage ? Je ne sais. Toujours est-il que les menaces s’éloignèrent et qu’il ne fut plus question de lettres de cachet. « Il n’arrivera rien à Voltaire, écrivait le président Hénault, par la même raison qu’il n’est rien arrivé à la reine de Hongrie. C’est qu’on ne prend point de parti. » Mais les langues ne s’arrêtèrent pas, et deux points surtout continuèrent à alimenter toutes les conversations. La lettre était-elle bien de Voltaire ou l’avait-on falsifiée et supposée, comme il le répétait à tout venant avec un air de sincérité candide ? Si elle était fausse, quel était le falsificateur ? ou, si elle était vraie, le révélateur inconnu ? D’où venait soit le mensonge, soit l’indiscrétion ? Sur le premier point, les connaisseurs n’hésitaient pas. « La lettre est bien de Voltaire, écrivait la spirituelle marquise du Deffand. On ne peut

  1. Voltaire à Mme de Mailly, 13 juillet 1742. — Au cardinal de Fleury, 22 août 1742. — Correspondance générale.)