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et Desalleurs, ministre français à Dresde ; enfin, le maréchal de Schmettau, officier supérieur, qui jouissait de la confiance personnelle de Frédéric.

Devant cet aréopage qui était tout oreilles pour l’entendre, Frédéric déroula un plan qui n’avait absolument rien de commun avec ce qu’on attendait de lui. Il proposait, non point de charger sur le centre de l’année du grand-duc, afin de s’ouvrir la route de Linz, mais de prendre au contraire cette armée en flanc sur sa droite, et de se rendre maître de la ville forte d’Iglau, placée à l’entrée de la Moravie. Une fois cette ville prise, laissant les troupes autrichiennes de côté, on traverserait la Moravie par une pointe hardie pour marcher droit sur le bas Danube et jusqu’à Vienne, si c’était nécessaire. Il ne fallait pas douter, disait Frédéric, que la reine, de Hongrie, menacée dans sa capitale, rappellerait |à l’instant pour sa défense, soit l’armée de Khevenhüller, soit celle du grand-duc, peut-être même toutes les deux. Dans l’une ou dans l’autre de ces hypothèses, ou Linz serait dégagé, ou Ségur pourrait être secouru par l’armée de Broglie. Puis, après avoir développé cette conception hardie par des raisons stratégiques d’une véritable force et avec une précision éloquente, il ajouta comme une chose qui irait d’elle-même qu’il ne pouvait malheureusement consacrer à cette entreprise qu’une faible partie de ses propres troupes. Il fallait donc qu’on mît sous ses ordres toutes les troupes saxonnes et une division de l’armée française, celle qui, commandée par le comte de Polastron, était en ce moment la plus voisine du prochain théâtre du combat, c’est-à-dire de la cité d’Iglau. Bien entendu, il aurait le commandement absolu et unique de ces forces auxiliaires sans aucun contrôle des généraux saxons ou français, « car, ajoutait-il, vous comprenez bien qu’un roi de Prusse ne peut pas commander en subalterne. »

La consternation fut peinte sur tous les visages, et l’embarras d’autant plus grand que le motif de la surprise était plus difficile à dire tout haut. L’idée en elle-même était séduisante et digne d’un grand capitaine ; mais c’était le post-scriptum qui gâtait tout : c’était ce commandement sans contrôle, ce blanc-seing pour disposer des hommes et de l’argent d’autrui demandé sur ce ton impérieux et par qui ? par le négociateur suspect qui, la veille encore, avait laissé échapper saine et sauve une armée ennemie, à la suite d’une transaction clandestine, et que la surprise de Prague avait seule arrêté en flagrant délit de trahison ! Ce qu’il avait fait hier, qui pouvait être sûr qu’il ne le recommencerait pas demain ? Une fois parti dans cette direction inconnue, hors de toute portée et de toute surveillance, quelle garantie avait-on que, si Marie-Thérèse venait à sa rencontre avec des propositions à sa convenance, il ne s’arrêterait pas pour traiter avec elle de ses avantages particuliers, en laissait