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de connaître quelle était la teneur exacte des clauses de la paix, si l’abandon des alliés du roi était complet, ou s’il y avait, comme Frédéric le lui avait laissé entendre, quelques bagatelles pour l’empereur. Puis il voulait voir, ajoutait-il, « si avec un homme d’un tel caractère, il n’y aurait pas moyen de tirer parti de sa défection, qui ne devait pas être, suivant toutes les apparences, plus sincère que son alliance. »

Effectivement, après quelques jours passés dans la retraite la plus incommode, ce fut le roi qui le fit revenir et qui parut tout surpris d’être resté si longtemps sans le voir. « Qu’est-ce donc, mon cher Valori, lui dit-il, vous faites le hibou avec moi ? Comptez que je veux être toujours votre ami. Par ma foi, je n’ai pu faire autrement : j’ai eu des raisons très fortes, je ne puis vous les dire à présent… Je ne veux pas vous nier que j’ai toujours entretenu la négociation, mais mollement… J’ai voulu jouer au plus fin et avoir une porte pour me tirer d’affaire en cas d’accident ; j’ai cru qu’il était arrivé et que tout était perdu à la retraite de Broglie. Dès que j’en ai su le détail, j’ai fait partir un exprès le même jour avec l’ordre de signer. Voilà comment cela s’est fait. » Puis il lui demanda où il comptait se rendre. « Probablement à Prague, » lui dit Valori. « Et pourquoi à Prague ? que n’allez-vous tout droit à Berlin ? — Sire, je vais à Prague pour y attendre les ordres du roi et y mener un homme de plus en cas que les ennemis veuillent nous y attaquer. » Cette noble réponse ayant paru émouvoir le roi, Valori, encouragé, en prit occasion pour lui représenter le danger auquel lui-même s’exposait en entrant dans une voie où, ne pouvant plus compter à l’avenir sur des alliés qu’il délaissait, il ne tarderait pas à se trouver en tête-à-tête avec Marie-Thérèse victorieuse et pleine de ressentimens. « Votre Majesté, lui dit-il, aura lieu de s’en repentir. — Est-ce une prophétie de Nostradamus que vous me faites ? — Non, sire, mais je crois que c’est l’expression de la saine politique et de la droite raison. — Écoutez, mon ami, croyez que je vois ce que vous me dites sur mes intérêts. Vous ne pouvez donc pas douter que je m’intéresse encore à vous. Pourquoi ne pas faire agir les Saxons ? ce sont des c…, j’en conviens, et puis il y a ce jésuite doucereux, ce Guarini, que je me reproche d’avoir trompé. — Sire, reprit Valori, que Votre Majesté ne se flatte pas de cela ; le père Guarini n’a jamais été sa dupe ; il a toujours dit que Votre Majesté trompait ou tromperait ; et je l’assure que j’ai rompu plus d’une lance contre lui à cet égard. — Mais ce n’est pas tromper cela, c’est se tirer d’affaire. »

La fin de cet étrange colloque, qui n’eut pas lieu tout d’une traite, mais fut plusieurs fois interrompu et repris, indiqua clairement quel en était le but. « Prenez vos mesures, dit le roi, pour