Il n’en reçut pas moins le général français, le visage riant, à bras ouverts, ainsi qu’un ancien ami. Comme il avait été le recevoir à l’entrée du camp et qu’ils revenaient ensemble en se promenant, il s’aperçut que le temps menaçait d’orage : « Vous allez avoir froid, » dit-il avec le plus tendre intérêt, et il le força d’accepter son manteau. La conversation s’engagea par les plus chaudes félicitations de Belle-Isle sur la victoire du 17 mai. « Le roi avala à merveille, dit Valori, l’encens qui ne lui fut point épargné. » Mais il ne parut pas pressé de rendre la pareille ; il se montra au contraire plus que froid sur le succès des Français à Sahay et tourna même légèrement en dérision le bruit qu’ils avaient fait d’une échauffourée, suivant lui, sans importance. Évidemment, voulant avoir à se plaindre de ses alliés, il ne lui convenait pas de leur faire des complimens. Belle-Isle ne le contredit pas ; non que, sur le champ de bataille de Sahay, il n’eût été des plus pressés de chanter victoire, mais, depuis lors, il avait appris, avant de quitter le camp, que les amis du maréchal de Broglie demandaient pour lui à cette occasion le titre de duc, et il ne se souciait plus d’aider à glorifier son rival. L’incident lui servit cependant à amener l’entretien sur le point véritablement important, car Frédéric lui ayant demandé, non sans quelque aigreur, pourquoi on n’avait pas poursuivi le prince Lobkowitz dans sa retraite, Belle-Isle rétorqua aussitôt sur un ton moins vif, mais tout aussi ferme, en demandant à son tour pourquoi on avait négligé de tirer parti de la victoire de Chotusitz. « Vous refaites, lui dit-il (sans se dissimuler sans doute ce que ce souvenir avait de blessant), la faute qui a été commise après la prise de Neisse et qui a failli vous être fatale. »
Frédéric, qui ne tenait plus probablement beaucoup à se justifier, ne releva pas l’insinuation ; mais, tout en restant calme et même gracieux, il se montra inébranlable dans la résolution de ne pas faire un pas de plus à la suite du prince de Lorraine. Avant le 15 juillet, dit-il, il ne fallait pas compter sur lui ; ce temps-là lui était nécessaire pour réparer ses pertes et remettre son monde en état. À ce moment, si les troupes françaises étaient disponibles de leur côté, on pourrait marcher en commun sur Vienne par les deux rives du Danube. « Mais, dit Belle-Isle en insistant, si d’ici là le maréchal de Broglie était attaqué par les deux corps d’armée autrichiens réunis ? — Il pourrait, dit Frédéric, se retirer dans les