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21 mai, il faisait savoir à Hyndfort que le succès ne l’enivrait pas au point de lui faire perdre ses sentimens de modération. C’était dire qu’il était prêt à reprendre la négociation là où il en était resté avant la bataille sans ajouter ni retrancher rien à son ultimatum. Hyndfort accepta cette fois, sans discussion, l’arrêt de la fortune et fit parvenir sur-le-champ à Vienne des conseils de résignation. La manière dont il s’y prit pour les faire agréer indique assez quelle idée il se faisait de l’humeur inflexible de Marie-Thérèse, car son unique argument consistait à lui représenter qu’en matière de conquête, rien n’était irréparable et que ce que la fortune enlevait aujourd’hui, elle pourrait le rendre le lendemain. « La reine doit d’autant moins hésiter, disait-il, à consentir à ce qu’on lui demande, que ces concessions lui sont arrachées par la violence et par une double perfidie. Aucune puissance au ciel et sur la terre ne pourra blâmer dans l’avenir la maison d’Autriche, si elle use plus tard de représailles et reprend à la première occasion par la force ce qu’on lui enlève aujourd’hui.[1]. »

Quand cette lettre parvint à Vienne, presque en même temps que les tristes nouvelles de la défaite de Chotusitz, Marie-Thérèse était en couches, venant de mettre au monde une princesse qui reçut le nom de Marie-Christine et qui devait tenir plus tard une place importante dans la famille impériale. Bien qu’aucun état de souffrance ne pût abattre la fermeté de son âme, elle jouissait de moins de liberté d’esprit que d’habitude pour tenir tête aux instances qui vinrent l’assiéger de tous côtés et qu’appuyaient des dépêches pressantes de Londres. Elle résista pourtant quelques jours encore et quand on vint enfin à bout de la faire fléchir, elle ne voulut céder qu’à moitié : elle renonça bien à exiger l’assistance du roi de Prusse et consentit à se contenter de sa neutralité, mais elle fut inébranlable en ce qui touchait l’intégrité de la Bohême. « Je n’y laisserai pas toucher, disait-elle, quand même le roi d’Angleterre viendrait me le demander à la tête de son parlement. Plutôt m’ensevelir sous les ruines de Vienne ! » Tout au plus put-on obtenir qu’elle maintînt la proposition déjà faite d’étendre la partie cédée du territoire de la Silésie. Toute la question, dès lors, était de savoir si Frédéric trouverait cette concession suffisante. La condition dépendant exclusivement de sa volonté, le traité de paix fourrée, comme disait Fleury, était pour ainsi dire dans une de ses mains le jour où il dut tendre l’autre à Belle-Isle[2].

  1. Pol. Corr., t. II, p. 174. — Grünhagen, t. I, p. 276.
  2. D’Arneth, t. II, p, 71. — Grünhagen, t. II, p. 278 et suiv. — Pol. Corr. — D’après MM. Droysen et Grünhagen, la réponse de Vienne n’arriva à Breslau que le 4 juin (date de l’entretien de Frédéric avec Belle-Isle) et ne pouvait être connue à Kuttenberg ce jour-là même. Frédéric pouvait donc encore conserver quelque doute sur la résignation de Marie-Thérèse, mais il n’en avait point sur sa propre résolution de faire une paix séparée à tout prix, ce qui suffit pour rendre l’entretien qu’on va lire tristement caractéristique.