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rester sans rien faire (sic), je crois que ce serait une honte éternelle pour la nation française. J’ai trop bonne opinion de la bravoure française pour que je ne dusse espérer qu’elle se saisira de l’occasion pour acquérir de la gloire ! » Avec Podewils et Valori, ce sont des interjections familières, mais plus expressives encore : « Eh bien ! ils l’ont voulu et leur volonté est accomplie ; que nous reste-t-il à désirer ? Dites à Hyndfort : Monsieur, vous avez forcé le roi à détruire la maison d’Autriche que vous vouliez sauver. Tu l’as voulu, George Dandin, tu l’as voulu. » — « Eh bien ! l’ami Valori, n’ai-je pas tenu parole et n’avons-nous pas bien battu les Autrichiens ? J’espère que messieurs les Français seront contens de moi. » Valori était content sans doute, et il fallait bien l’être ; mais le fut-il autant d’un second billet reçu deux jours après et dont les termes un peu différens durent lui donner à penser ? « J’ai tenu parole, disait le roi : à présent, je suis quitte envers vous et mes alliés,.. et ces….. de Saxons n’en ont pas été[1]. »

L’heureuse nouvelle ainsi envoyée à tous les échos atteignit Belle-Isle sur la route de Francfort à Prague. Le maréchal s’était attardé longtemps dans la ville impériale pour assister, dans les embarras de sa prise de possession, le nouvel empereur, qui, malade, goutteux, accablé de tristesse et manquant d’argent, ne pouvait se passer de ses conseils. Il n’était pas fâché non plus de laisser à la nouvelle armée française qui devait opérer en Bavière le temps d’arriver sur le territoire allemand, afin que, le maréchal de Broglie étant appelé à en prendre le commandement, la vie commune entre les deux collègues à Prague durât le moins longtemps possible. Il arriva le 22 mai, et trouva le maréchal de Broglie dans un assez grand embarras. Le reproche indirect mêlé par Frédéric à la nouvelle de sa victoire avait blessé au vif le vieux soldat et, relevant aussitôt le gant, il s’était hâté de répondre au roi, sur le ton de fierté un peu rogue qui lui était habituel, qu’à sa connaissance, les Français avaient en général plus besoin de bride que d’éperon. « Le roi, écrivait-il en même temps au ministre de la guerre (le marquis de Breteuil), aurait pu me dire la même chose, ce me semble, dans des termes un peu plus obligeans ; mais, comme il n’entend peut-être pas le français, il faut croire que sa lettre est plus honnête dans sa langue qu’elle n’est dans la nôtre. » Il n’en était pas moins piqué d’honneur et sentait que c’était à lui à compléter l’avantage remporté par les Prussiens et laissé à moitié par Frédéric ; mais il était en même temps très justement inquiet de l’étrange facilité laissée au prince Charles pour effectuer sa retraite et pour opérer, au moment qui lui conviendrait, sa jonction

  1. Pol. Corr., t. II, p. 164, 166, 167, 173.