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« Il me dit, écrit Valori, qu’il avait répondu par une négative aussi nette que possible… mettant dans sa réponse qu’il était fort utile qu’on s’adressât à lui, vu qu’il était résolu de ne rien faire que de concert avec ses alliés. Il a même mis de sa main à la marge : Que la reine de Hongrie aille… Dispensez-moi, monseigneur, de vous mander ses propres termes, ils sont militaires ; aussi, ce prince est-il à la veille de camper ! » Mais Frédéric n’ajouta pas ce que Valori, instruit par l’expérience, devinait peut-être, et ce qui aurait ôté de leur valeur à tous les jurons du monde, c’est que ces propositions repoussées avec tant d’énergie n’étaient elles-mêmes que la réponse faite à des demandes dont la bonne foi d’un allié ne s’accommodait pas davantage.

Poursuivant son discours, Frédéric tomba sans ménagement sur les Anglais : « Ces gens, dit-il, frappent à toutes les portes. Prévenez Belle-Isle qu’ils négocient à Dresde et qu’ils veulent être nos médiateurs. Ce n’est pas mon avis : faisons la guerre bien vigoureusement et n’admettons d’autre médiation que l’accomplissement de nos traités. Pour ma part, je vais au-devant des Autrichiens et je ne leur laisserai pas faire un pas de plus avec leur racaille hongroise. Je voudrais que ce fût moi seul qui les battît et qui eût le plaisir de les humilier. » Il expédiait en même temps une lettre au cardinal de Fleury, où il lui parlait plus que jamais de leur union mutuelle et de leur attachement indissoluble : « Je suis campé depuis hier, disait-il, on dit que l’ennemi marche à moi, je vous prie de faire dire quelques messes pour que la chose arrive… M. de Belle-Isle sera, je pense, le 22, dans mon camp, et je suis persuadé que nous serons fort contens l’un de l’autre. » Valori transmit le tout, lettre et assurances, mais sur un ton d’incrédulité un peu triste, parfaitement explicable par le souvenir de tant d’illusions trompées[1].

En effet, puisque Belle-Isle était sur le point d’arriver et qu’on était si sûr de le contenter, le plus simple eût été de l’attendre, afin de combiner avec lui une double attaque, qui, prenant au même moment à partie les deux divisions de l’armée autrichienne et faisant ainsi, en quelque sorte, feu sur toute la ligne, l’aurait balayée tout entière d’un seul coup. Il ne semble pas, par le récit même de Frédéric, que ce délai d’une ou deux semaines eût rien compromis, ni que le prince Charles, très indécis de sa nature, fût à tel point pressé de prendre l’agressive, qu’il fallût immédiatement en venir aux mains avec lui. En tout cas, en prolongeant par une réponse équivoque la négociation qu’on ne s’était pas fait scrupule

  1. Valori à Amelot, 12 mai 1742. (Correspondance de Prusse. — Ministère des affaires étrangères.) — Frédéric à Fleury, 14 mai 1742. Pol. Corr., t. II, p. 160.