Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 50.djvu/253

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des visages incrédules quand il offrirait de nouveau une parole dont il s’était si lestement dégagé. Il supposait aussi, et non sans fondement, que la reine, encouragée par ses derniers succès, se montrerait maintenant plus difficile sur les conditions d’un accommodement. Ce partage de sentimens excitait chez lui un débat intérieur dont il éprouva le besoin (peut-être dans une nuit d’insomnie) de tracer le résumé par écrit. C’est ici, en effet, que se place une pièce curieuse, sans date et sans signature, que la Correspondance politique nous fait connaître et que, de la part de tout autre, on appellerait un examen de conscience.

Ce document se divise en deux parties dont la première est intitulée : Exposé des raisons que je puis avoir pour rester dans l’aillance de la France, et la seconde : Exposé des raisons que je puis avoir de faire une paix avec la reine de Hongrie. C’est le pour et le contre mis en regard ; toute l’âme de l’écrivain s’y révèle. Sous le premier chef, au nombre des motifs qui militent pour le maintien de l’alliance française, il veut bien placer (et même au premier rang) une considération tirée de l’honneur et de la morale. « Il est mal, dit-il, de violer sa parole sans raison, et jusqu’à présent je n’ai pas lieu de me plaindre de la France, ni de mes alliés (l’aveu est précieux et bon à retenir). L’on se fait la réputation d’homme changeant et léger, si l’on n’exécute point un projet qu’on a fait, et que l’on passe souvent d’un parti à l’autre. » Suivent des réflexions plus intéressées, comme celle-ci par exemple, à savoir : qu’une victoire nouvelle remportée sur les Autrichiens placerait la Prusse au premier rang dans l’empire et que son roi aurait alors toute l’autorité de l’empereur, dont l’électeur de Bavière n’aurait que l’embarras ; et cette autre : que la reine de Hongrie (si on traitait avec elle) regretterait toujours les provinces qu’elle aurait cédées et travaillerait à les reprendre, et l’on n’aurait jamais ainsi qu’une paix plâtrée.

Mais c’est sous l’autre rubrique, celle où sont énoncés les avantages possibles d’une paix séparée, que percent les véritables sentimens. Viennent d’abord les récriminations habituelles contre les lenteurs, les hésitations, les fausses manœuvres des généraux français, et l’impossibilité de faire campagne avec eux plus longtemps sans partager les conséquences de leurs fautes. Puis en travaillant pour l’empereur et le roi de Pologne, ce sont des voisins qu’on agrandit et qui peuvent payer d’ingratitude. Mais, écoutez le trait final : « L’heureuse fin de cette guerre rendrait la France arbitre de l’univers. » Voilà le mot décisif, voilà le dernier chiffre de l’addition qui clôt la balance, qui solde le bilan[1].

La délibération intérieure ainsi résumée porta ses fruits, et Frédéric

  1. Pol. Corr., t. II, p. 98-99.