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impression, et plus vive encore, était répandue, nous le savons (il en avait de bonne heure averti Valori) à sa cour et dans son entourage ; autour de lui on était tout, Anglais, Russe, Autrichien même, excepté Français. La guerre commencée à contre-cœur devenait à chaque pas et après chaque incident plus à charge. C’était même pour plaire à ses officiers qu’il se livrait, contre nos maréchaux et nos soldats, à des invectives que lui-même ne pouvait trouver justifiées. Mais depuis l’éclat de la déroute des Français à Linz, cette consolation en paroles n’était plus suffisante. L’orgueil national, le patriotisme germanique, ces sentimens qui se cherchaient et s’ignoraient encore eux-mêmes, mais qui se révélaient par de vagues instincts, étaient flattés d’avoir vu fuir les étendards fleurdelysés devant des soldats qui parlaient allemand. On murmurait dans les rangs prussiens de ne pouvoir exprimer cette satisfaction tout haut : on portait envie à Khevenhüller. Pour peu qu’une pareille épreuve fût encore renouvelée, Marie-Thérèse allait devenir l’héroïne dont le nom parlerait à toutes les imaginations, même de ceux qui marchaient au combat contre elle. Et au même moment, dans toutes les villes de Hollande, dans beaucoup de petits états d’Allemagne, les chaires protestantes retentissaient d’invectives lancées par des prédicans, fils de religionnaires réfugiés, contre l’héritier de Louis XIV, l’Antéchrist et le soutien du démon, le nouveau Xerxès, oppresseur des libertés de la république chrétienne. Le très peu catholique Frédéric entendait en frémissant les échos de ces imprécations, dont quelques éclats l’atteignaient. Il se sentait avec un malaise croissant engagé à faux dans une lutte désormais sans issue contre des passions qu’il partageait peut-être et dont, en tout cas, il mesurait assez la force pour désirer de s’en ménager l’appui. Ajoutez enfin à tous ces motifs d’impatience et de découragement un autre, pris dans des considérations moins élevées, mais qui n’était pas moins puissant sur son esprit. L’argent commençait à lui manquer, les épargnes de son père étaient presque entièrement consommées, et c’était le moment que le nouvel empereur, à bout de ressources, choisissait pour lui demander, sous forme de subside ou d’emprunt, une importante aide pécuniaire.

Telles étaient, à n’en pas douter, les raisons véritables du trouble étrange que Valori apercevait avec surprise sur ce visage assombri dans lequel l’habitude aurait dû lui apprendre à lire. De cette impatience au désir de se débarrasser d’une alliance importune il n’y avait évidemment qu’un pas. Si Frédéric tardait encore à le franchir, s’il hésitait à revenir à la pensée, tant de fois déjà caressée par lui, de traiter directement de la paix avec la souveraine allemande, c’est qu’il était retenu par la mauvaise honte de courir après des négociateurs si récemment congédiés. Il craignait de rencontrer