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prononcer l’annexion pure et simple du Pérou aux États-Unis. « C’est là, écrivait l’envoyé à M. Blaine, le seul moyen de mettre la main sur le commerce péruvien et d’exercer une influence prépondérante sur la côte du Pacifique. Les quatre cinquièmes de la population voteraient volontiers cette annexion, qui pourra seule faire comprendre aux républiques sud-américaines que la doctrine de Monroë n’est point un mythe… » C’était de la franchise. Provisoirement, on s’efforçait d’obtenir l’abandon d’un port sur le Pacifique, la cession des territoires les plus riches en gisemens de guano, de nitrate, et il faut bien avouer aussi qu’aux négociations de l’ordre international se mêlaient des arrangemens d’un tout autre ordre, passablement lucratifs pour les négociateurs, qui ne s’oubliaient pas. Ce malheureux Pérou payait rançon à tout le monde.

Ce qu’il y a de curieux, c’est qu’à un certain moment de l’été dernier, le président de la république française, M. Jules Grévy, avait cru devoir faire offrir au gouvernement de Washington une action commune avec la France et l’Angleterre pour « rétablir l’ordre et la stabilité dans les affaires du Chili et du Pérou. » Le secrétaire d’état de Washington rendait un parfait hommage aux intentions généreuses de M. Grévy ; mais il s’empressait d’ajouter que « les États-Unis, n’appartenant pas au groupe d’états dont la France et l’Angleterre font partie, ne pouvaient s’associer à des puissances européennes pour intervenir dans les affaires des états d’Amérique. » M. Blaine entendait poursuivre seul ses desseins, exerçant à sa manière son rôle d’arbitre entre le malheureux Pérou, qu’il accablait de sa protection, et le Chili, qu’il a fini par menacer de toute la colère des États-Unis. Peu de temps avant de quitter le pouvoir en effet, il avait envoyé à Santiago un nouveau représentant américain, M. Trescott, qui parlait au mois de décembre dernier. On avait cru d’abord que le nouvel envoyé extraordinaire était chargé de remplir une mission toute conciliatrice, de reprendre la médiation entre le Chili et le Pérou. Pas du tout. M. Trescott était parti avec une sorte d’ultimatum qui devait placer le Chili dans l’alternative de se soumettre à toutes les conditions du cabinet de Washington ou de s’exposer à une guerre avec les États-Unis.

Chose plus singulière, M. Blaine paraît avoir agi dans cette circonstance sous sa responsabilité sans consulter ses collègues ni le président ; c’est de lui-même qu’il aurait engagé le gouvernement de Washington dans une voie qui conduisait à une rupture à peu près inévitable et peut-être à une guerre avec le Chili. Le président Arthur a du moins désavoué toute participation à cette politique, qu’il aurait ignorée dans les premiers jours de son avènement au pouvoir. Ce n’est, qu’à l’arrivée de M. Frelinghuysen à la secrétairerie d’état que tout aurait été découvert et qu’on aurait connu le secret de la mission de M. Trescott, dont on a eu le temps, à ce qu’il paraît, de modifier les