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anomalie qui constitue les tribunaux administratifs juges dans des affaires de propriété privée ! Par le fait, la proposition de M. Batbie n’avait d’autre objet que de compléter l’abrogation de l’article 75, de donner raison à toutes les réclamations qui n’ont cessé de s’élever dans l’intérêt de la liberté et de la propriété. De plus, il ne s’agissait pour le moment que de décider la nomination d’une commission qui aurait été chargée d’examiner de plus près la question, de définir avec maturité ces garanties nouvelles si souvent et si justement revendiquées. Cela paraît bien simple, nullement subversif, et M. Batbie ne ressemblait pas précisément à un révolutionnaire faisant des propositions pour introduire l’anarchie dans l’état. Les républicains du sénat ne l’ont cependant pas jugé ainsi ; ils n’ont pas même voulu admettre la proposition aux honneurs modestes d’une prise en considération. On a invoqué les grandes raisons, la loi souveraine de la séparation des pouvoirs, la nécessité de ne pas désarmer le gouvernement, de laisser à l’administration ses droits, et au fond le grand secret, c’est qu’on a craint que la proposition de M. Batbie passât pour une condamnation de l’exécution des décrets sur les congrégations religieuses. Après cela, il est à croire que, si l’article 75 de la constitution de l’an vin n’avait pas été aboli en 1870, il ne serait pas abrogé aujourd’hui, — toujours dans l’intérêt du gouvernement. Voilà du moins un curieux spécimen de libéralisme.

Et ce n’est point le seul fait caractéristique, la seule déviation des plus vieilles traditions libérales. Sait-on où en sont maintenant certains républicains au sujet d’une loi solennellement consacrée par la constitution de 1848, passée dans les lois et dans les mœurs, — la liberté de l’enseignement ? Certes, depuis quelques années, bien des lois ont été proposées, discutées, votées pour cerner en quelque sorte et restreindre cette malheureuse liberté ; mais enfin ce n’était qu’une guerre partielle, plus ou moins détournée, on s’arrêtait devant le principe. Aujourd’hui c’est le principe même qui est menacé, et M. Paul Bert, dans tous ses projets, laisse voir suffisamment la pensée de rendre le plus tôt possible à l’état ses droits exclusifs, sa prépondérance absorbante dans les affaires de l’enseignement. Qu’on fasse cependant une supposition : si par un de ces retours de fortune qui ne sont jamais impossibles, le chef de l’état se trouvait être un réactionnaire, un clérical, — selon le jargon du moment, — si le ministre de l’instruction publique s’appelait Mgr Freppel ou M. Chesnelong, si les influences religieuses dominaient dans les assemblées et dans les conseils, M. Paul Bert ; trouverait-il toujours bon que l’état eût cette toute-puissance qu’il veut lui donner ? Ne sentirait-il pas le prix de la liberté ? Mais ce sont les républicains qui règnent aujourd’hui et la liberté des autres importe peu. Il faut se hâter de mettre le sceau officiel sur toutes les écoles, de même qu’il faut réserver les subventions pour les églises des communes bien pensantes ! M. Paul Bert s’alarme surtout d’un fait qu’il signale