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peu de déclarer qu’il faut sans retard les rayer de la liste des électeurs, leur interdire l’entrée de la Bourse, leur défendre d’exercer aucun métier, aucun trafic, aucun commerce sans une autorisation renouvelable d’année en année.

Cependant aucun de ces folliculaires, c’est une justice à leur rendre, n’a proposé de rétablir la loi qui portait que les meubles du juif sont au baron. Aucun d’eux n’a demandé qu’il fût permis de les battre depuis le vendredi saint jusqu’à Pâques, quand ils s’aviseraient de se montrer dans les rues, ou de les pendre entre deux chiens, lorsqu’ils seraient condamnés. En revanche, il s’en est rencontré-plus d’un pour émettre le vœu qu’on les reléguât de nouveau dans leur ghetto, en les contraignant de coudre à la manche de leur habit un lambeau d’étoffe voyante. Les brise-raison qui n’ont pas craint de recommander ce bel expédient ou d’autres pareils aux sérieuses méditations des hommes d’état de Berlin ne sont pas tous des folliculaires de bas étage. Il s’en trouve dans le nombre qui sont des hommes de mérite, capables de raisonner correctement sur tout sujet où leur passion n’est pas en jeu, et même d’écrire une consciencieuse histoire des Hohenstaufen ou de développer avec talent quelque thèse de philosophie optimiste ou pessimiste. Tout récemment, l’Académie des sciences de Paris a reçu un mémoire de hautes mathématiques que les experts, commis au soin de l’examiner, déclarèrent tout d’une voix fort remarquable. Ils s’aperçurent après coup que ce beau mémoire, si bien raisonné, leur était envoyé de Charenton, et il fut constaté, après enquête, que l’auteur était un fou incurable, quoique intermittent. Les fous intermittens ne sont pas rares en France, mais nous sommes tentés de croire qu’il y en a plus on Allemagne que partout ailleurs.

Les juifs ont trouvé de fougueux adversaires dans tous les camps, dans tous les partis. Ils ont été attaqués, honnis, levraudés avec une égale acrimonie par des orthodoxes dont le zèle est amer, par des conservateurs agrariens qui réprouvent les opérations de bourse et ne tiennent en honneur que le commerce des eaux-de-vie, où ils trouvent leur compte, par des libéraux inconséquens, timides ou trop habiles, désireux de tirer leur épingle du jeu, par des libres penseurs et des philosophes plus intolérans que des sacristains. Ils ont essuyé les invectives de M. de Treitschke, qui n’a pas craint de leur signifier qu’ils étaient le fléau, le malheur de l’Allemagne. Ils ont encouru les anathèmes d’un éloquent prédicateur de cour, M. Stocker, qui les accuse de mettre en danger la civilisation chrétienne et la vertu germanique. Toutefois M. de Treitschke a usé de quelque ménagement à leur égard ; il est dans son caractère de mêler l’onction aux amertumes et un peu d’huile d’amandes douces à son vitriol. M. Stocker, lui aussi, s’est imposé une certaine retenue, qui provenait peut-être de son embarras. Pouvait-il oublier que l’ancienne alliance a préparé la nouvelle, que