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On aura remarqué le ton dégagé de ce morceau. C’est le ton d’une curieuse dont l’esprit n’est pas embarrassé d’admiration, encore moins de respect, devant les pompes et tant de personnages fameux de la cour du roi-soleil. La vénération de l’électrice pour le rang ne s’étendait qu’à ce qui lui tenait par le sang ; c’était essentiellement un culte de famille.

Elle écrivit ce qui subsiste de ses Mémoires en quelques semaines, au retour du voyage de France, et ne les reprit jamais. Ils s’arrêtent au mois de février 1681. Si nous faisions une biographie, c’est ici qu’il faudrait placer l’histoire du mariage du fils d’Ernest-Auguste, George-Louis, roi d’Angleterre en 1714 sous le nom de George Ier, avec sa cousine Sophie-Dorothée, fille d’Éléonore d’Olbreuse. Nous aurions à raconter les tristes suites de la pilule « dorée de 100,000 écus » et à essayer de déterminer le rôle de l’électrice Sophie dans le meurtre de Philippe de Königsmark et dans l’emprisonnement de Sophie-Dorothée au château d’Ahlden. Il nous en coûterait quelque peine, nous l’avouons, de nous représenter avec M. Schaumann, auteur des derniers travaux sur la matière[1] cette spirituelle duchesse Sophie en belle-mère de mélodrame. Elle nous paraît infiniment plus ressemblante à elle-même dans les Lettres de Madame, dansant à quatre-vingts ans sonnés une allemande avec son petit-fils, formant des vœux pour sortir de ce monde avec élégance, sans l’appareil fâcheux qui accompagne la maladie, et mourant comme elle l’avait souhaité, de mort subite au milieu d’un jardin (1714) !

Tenons-nous-en à cette impression souriante sans entrer dans des questions restées fort obscures[2]. Notre but était seulement de faire connaître la personne par les côtés pour ainsi dire mondains de son esprit et de son caractère : l’imagination ailée, l’humeur railleuse, désabusée sans aigreur, la constance à se conserver gaie à travers les tracas, par principe d’hygiène. En opposant l’électrice Sophie à Madame, on a les. deux types extrêmes de la grande dame allemande au XVIIe siècle. Toutes deux hors de pair par l’originalité et par les grandes qualités, il serait malaisé d’être plus dissemblables que ces princesses par les formes extérieures : Elles n’ont pas l’air d’appartenir au même âge de civilisation. Madame, disons le mot, était une barbare. L’électrice Sophie n’avait ni la chaleur de cœur ni la droiture virile de Madame, mais ce n’est pas d’elle que Saint-Simon aurait écrit : a la figure et le rustre d’un Suisse. »


ARVEDE BARINE.

  1. Sophie-Dorothea, Prinzessin von Ahlden, und Kurfürstin Sophie von Hannover, par A. F. H. Schaumann, directeur des archives d’état de Hanovre ; Hanovre, 1879 ; Klindworth.
  2. On ne possède pas de documens authentiques sur les origines du procès intenté à Sophie-Dorothée en 1694. Les pièces mêmes du procès ont été anéanties.