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s’il m’eût connue toute sa vie. Pendant que j’embrassais ma sœur, il monta dans le parloir avec Mademoiselle sa fille, et je suivis quelque temps après avec Madame, qui me tenait toujours embrassée du côté du cœur. »

L’excellente Madame dut interrompre ses embrassades pour laisser la parole à Monsieur, qui brûlait d’avoir son tour. Il avait à raconter les toilettes qu’il se faisait faire pour le mariage de sa fille Marie-Louise[1] avec Charles II d’Espagne, et il était plein de son sujet. Il ne quitta Maubuisson qu’après avoir fait promettre à sa tante de Hanovre de venir dès le lendemain au Palais-Royal voir ses ajustemens. Elle y vint, et gagna le cœur de Monsieur en passant l’après-midi à chiffonner avec lui. Monsieur prit en main le soin de la garde-robe de l’électrice et de sa suite. Il s’employa à mettre ces Allemandes à la mode de Paris, choisit les étoffes, tint conseil avec les tailleurs, inventa des montures pour les pierreries, tout cela avec un intérêt vif et, pour ainsi dire, confiant. Il n’avait pas l’ombre d’un doute sur l’importance décisive de ces sortes de questions. A l’arrivée de sa tante à la cour, à Fontainebleau, il ne la laissa pas se reconnaître et l’entraîna à l’instant dans un petit cabinet où on lui brodait un justaucorps pour les noces ; cette broderie était pour Monsieur l’affaire sérieuse du mariage de sa fille. Il voulut présenter lui-même l’électrice, la mena par la main devant Marie-Thérèse, prit vivement une bougie et l’approcha de la reine pour faire admirer ses pierreries. L’électrice confuse se hâta de se jeter dans les complimens et sur ce que le plaisir de considérer la reine l’empêchait de regarder les pierreries. Marie-Thérèse, l’air doux et engoncé, le dos rond, la main blanche et belle, souriait en montrant ses dents noires et répétait avec un à-propos admirable : « Le roi m’aime tant ! Je lui suis si obligée ! » En 1679, la reine était « obligée » au roi de Mme de Montespan et de Fontanges, entre autres, et en ne parlant que du présent.

Un accident faillit gâter l’amitié de Monsieur pour sa tante de Hanovre. C’était le soir, et chacun s’était retiré dans son appartement. L’électrice entra, sans être annoncée, dans la chambre de Madame et surprit Monsieur en déshabillé de nuit : robe de chambre, bonnet à rubans couleur de feu sur une tête sans perruque, quelque chose enfin comme Argan attendant M. Purgon. Le pauvre Monsieur était au désespoir d’être vu aussi peu à son avantage. Il tournait toujours la tête de l’autre côté, tandis que sa tante, pour « l’apprivoiser, » se mêlait d’un arrangement de parure auquel il était occupé. La politique (Monsieur pouvait être utile) inspira enfin à l’électrice une attache de chapeau dont la beauté fut irrésistible. Monsieur oublia son bonnet de nuit en considérant l’attache de chapeau. Sa tante le laissa consolé

  1. Fille du premier lit de Monsieur.