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si elle le pouvait trouver avec le cadet, elle n’aurait aucune peine à quitter l’un pour l’autre. » Ainsi fut fait. George-Guillaume avantagea son cadet, et Sophie vécut fort bien avec Ernest-Auguste, mari médiocre. Devenue mère de famille, elle éleva ses enfans selon les mêmes principes de sagesse pratique. Ayant remarqué les inconvéniens des conversions forcées, comme l’avait été celle de sa nièce à son mariage avec Monsieur, elle ne donna point du tout de religion à sa fille et se réserva de la faire instruire dans la religion de son mari. Courville, qui nous a conservé ce détail, en avait tiré bon augure pour un projet de sa façon. Par intérêt pour la maison de Hanovre, où il avait des liaisons étroites, il proposait que le duc Ernest-Auguste se fit catholique avec sa famille, moyennant quoi lui, Courville, se faisait fort d’obtenir du pape la réunion au duché de Hanovre de certains biens ecclésiastiques. Le duc répondit qu’il était trop vieux pour changer de religion, mais sa femme aurait tenté l’aventure. « Mme la duchesse me fit des complimens et des amitiés sur la bonne volonté que j’avais d’une manière qui me fit juger qu’elle aurait volontiers consenti à la proposition si son mari y était entré[1]. » Ajoutons que la duchesse était sceptique en médecine dans un siècle où douter des médecins était le premier pas duis la voie de l’impiété.

L’électrice Sophie, fille d’Allemand, élevée à l’allemande et fixée en Allemagne, tenait de race la disposition à ne pas se perdre dans les nuages. Sa nation n’avait pas encore été prise de l’accès de sentimentalité qu’elle aura au XVIIIe siècle en même temps que la nôtre, et dont nous la voyons se dégager en ce moment, plus tard que nous et peut- être plus complètement. Il y a deux cents ans, aucun symptôme n’annonçait la crise. L’Allemagne du XVIIe siècle n’avait pas plus que la France du XVIIe siècle le goût de la sensiblerie et des pleurnicheries. En revanche, elle aimait plus encore la goinfrerie et les malpropretés[2]. Ni à la cour de Heidelberg, ni à la cour de Hanovre, ni à la cour de Zelle, un amoureux du temps de l’électrice ne se serait avisé de dire à sa belle que pour lui plaire il fallait « savoir pleurer et aimer les larmes[3]. » On demandait alors à une belle tout autre chose. Quand la d’Olbreuse, une petite Française intrigante, vise à devenir belle-sœur de la duchesse Sophie, qui ne le lui pardonnera pas, elle n’a garde de jouer la mélancolie et de larmoyer ; ce n’était pas encore la mode et on l’aurait trouvée très ennuyeuse. Elle se montre « fort folâtre et fort enjouée, battant l’un, pinçant l’autre, comme des talens

  1. Mémoires de Courville, édition Petitot, p. 501.
  2. Voir dans les Mémoires de l’électrice Sophie, p. 49, l’histoire du verre de vin bu deux fois.
  3. Lettres de Martin Miller, années 1774 et suiv. (Deutsche Rundschau, septembre 1881.)