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ses filles s’élevaient entre elles comme elles pouvaient et travaillaient à jeter leurs filets sur le prince de Galles, depuis Charles II, exilé comme elles.

La princesse Sophie s’était donné pour tâche de faire enrager toute la maison et s’en acquittait à merveille. Elle n’avait plus d’autre occupation, car précepteurs et leçons avaient été supprimés en quittant Leyde. On vit alors quel sentiment des bienséances la cour « tout à fait à l’allemande » avait développé chez ces jeunes princesses. Les espiègleries avec lesquelles l’électrice assure qu’elle charmait tous les « gens d’esprit » laissent derrière elles les plaisanteries les plus grasses du Malade imaginaire. Du reste, elle aurait été élevée à la française qu’il n’en aurait pas été autrement. Quand on lit les mémoires et les correspondances du XVIIe siècle, on est continuellement frappé du fond de grossièreté que recouvraient les dehors polis de la cour de Louis XIV. La duchesse de Bourgogne en fera bien d’autres que la princesse Sophie, et le roi et Mme de Maintenon en riront tout comme les gens d’esprit de La Haye.

Les années passèrent ; la petite fille maigre et laide devint une belle personne. « J’avais, dit-elle, les cheveux d’un brun clair, naturellement bouclés, l’air gai et dégagé, la taille bien faite, mais pas fort grande, le port d’une princesse. » Une petite remarque jetée négligemment quelques lignes plus haut nous apprend que les femmes de la famille avaient toutes la jambe et le pied admirables. Nous avons sous les yeux un portrait qui représente l’électrice Sophie vers la soixantaine, après la petite vérole. Les traits sont réguliers et nobles, le front haut et large, le regard intelligent ; l’air est d’une très grande dame. Sous ses dehors d’enfant terrible, le caractère avait été mûri de bonne heure. Les difficultés et les déboires de l’exil avaient développé le fond de philosophie, accentué le tour d’esprit raisonnable et positif. Toute jeune, sa première règle de conduite, qui ne changera plus, était de se garder en joie ; car la bonne humeur, disait-elle, conserve la santé, et la santé conserve la vie, « qui m’est bien chère. » L’orgueil aidant la bonne humeur, rarement on prit plus gaillardement le temps comme il vient, les hommes comme ils sont, les choses pour ce qu’elles valent. Étant toujours, à La Haye, sans argent et presque sans le nécessaire, elle se résout une fois pour toutes à prendre chez les marchands ce qu’il lui faut et à « laisser à la Providence le soin de payer, » ne manque plus de rien et admire de bonne foi que la pauvreté ne lui fasse « aucune peine. » Son fiancé, le duc George-Guillaume de Hanovre, qui lui avait pourtant dit « mille choses obligeantes » auxquelles la princesse Sophie se rend le témoignage de n’avoir « pas trop mal répondu, » propose sans plus de façons de se substituer pour le mariage son cadet, Ernest-Auguste. La princesse réplique gracieusement qu’elle n’avait « jamais eu de l’amour que pour un bon établissement et que,