Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 50.djvu/210

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’esprit ; sa malice sait faire patte de velours. Elle écrit ses mémoires en français, dans un style que Leibniz, chargé de corriger ses fautes d’orthographe et s’en acquittant médiocrement, nommait sublime et que nous nous contenterons d’appeler vif et naturel. Ses descriptions des cours, qu’elle a visitées sont tout à fait charmantes, et il y aurait plus d’une bonne leçon d’histoire à en tirer.

C’est surtout à l’électrice elle-même que nous nous attacherons. Nous sommes accoutumés, en France, à voir les princesses allemandes du temps de Louis XIV sous les traits rustiques de Madame ou de la grande Dauphine. La duchesse Sophie nous fera connaître un autre type plus fin, ne le cédant à personne pour l’originalité et complétant heureusement, par la politesse et l’agrément de l’esprit, ce qui manquait aux autres du côté de la grâce et de l’usage.

Elle était née à La Haye, le 14 octobre 1630, de Frédéric V, comte palatin du Rhin, un instant roi de Bohême, et d’Elisabeth, fille de Jacques Ier d’Angleterre. Après la perte de leurs états, ses parens s’étaient réfugiés en Hollande, où ils eurent tant d’enfans qu’ils ne savaient plus quels noms leur donner. Au douzième, qui était une fille, ils prirent le parti de tirer au sort, et c’est ainsi que la future duchesse de Hanovre s’appela Sophie. Dès qu’elle fut nommée, la reine sa mère ordonna de la porter à Leyde, où étaient déjà élevés tous les aînés, et retourna à ses guenons et à ses chiens. Cette princesse avait les idées de son temps sur la part qui revient aux grands dans l’éducation de leurs enfans. La grande Mademoiselle contait que sa belle-mère ne voyait les petites Mademoiselles, filles du second lit de Gaston, qu’un demi-quart d’heure le matin et autant le soir, et ne leur disait jamais rien, sinon : « Tenez-vous droites ; levez la tête. » La reine Elisabeth vit sa fille Sophie un demi-quart d’heure en dix ans, un jour qu’elle l’avait fait venir avec un frère plus jeune pour les montrer, en même temps que ses chiens et ses singes, à une princesse de sa parenté. On nous montra, disent les Mémoires, « comme l’on fait un haras ! » Le garçon fut trouvé beau, mais on demeura d’accord que la fille était maigre et laide. La petite Sophie écoutait cette discussion et était très mortifiée.

Sa mère se sentait à son égard la conscience en repos. Toute déchue let besogneuse qu’elle était, elle n’épargnait rien pour ses enfans. On leur avait organisé à Leyde une cour « tout à fait à l’allemande, » avec force précepteurs, gouvernantes, leçons et cérémonies. En se levant, les princesses récitaient ces fastidieux quatrains de Pibrac que Mme de Maintenon enfant apprenait par cœur en gardant les dindons, et qui étaient alors aussi obligatoires pour les jeunes filles, et à peu près aussi utiles que l’algèbre l’est de nos jours. Les maîtres se succédaient jusqu’à l’heure du dîner, au grand ennui de la princesse Sophie, qui n’avait aucun goût pour le travail, et avec le repas