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des Enfans de Charles Ier au musée de Turin, au château de Windsor, au musée d’Amsterdam ? Enchantement des yeux, enchantement de l’âme. Tous ces beaux enfans, malgré le luxe de leurs chatoyantes soieries, malgré la gêne de leur attitude imposée, restent, au fond, si naïfs et si étonnés, avec leurs petites mines sérieuses, avec leurs grands yeux brillans de fils de rois adulés et précoces ! Ces mêmes colorations affaiblies et alanguies, d’un charme subtil et presque maladif, donnent aux nobles dames de l’aristocratie anglaise un attrait de mélancolique élégance que la terre de Shakspeare sut bien comprendre et que l’art anglais, depuis ce jour-là, n’a cessé de rechercher. Même aux derniers jours de sa vie, alors que ses forces sont brisées, l’artiste, plus sensible que jamais, a tout à coup des réveils surprenans de vigueur ; mais son pinceau brillant mêle alors à ses éclats, avec une tristesse souriante, d’étranges pâleurs d’automne. Notre Charles Ier à la chasse du grand Salon, le Prince Guillaume d’Orange et sa Fiancée Henriette-Marie d’Angleterre au musée d’Amsterdam, d’innombrables portraits en Angleterre, sont dus à ces dernières intermittences de génie.

Il n’est donc pas besoin de vouloir à toute force mettre Van Dyck presque sur le même pied que Rubens, comme on l’a fait quelquefois par une singulière exagération, pour lui être équitable et le juger à sa valeur. Rubens est un de ces génies exceptionnels qui se dressent par instans dans l’histoire des arts pour en changer le cours et entraîner le monde à leur suite. Sans Rubens on ne conçoit ni la peinture flamande au XVIIe siècle, ni la peinture en Europe depuis trois siècles, tandis que l’absence de Van Dyck n’eût pas troublé profondément l’aspect général des productions pittoresques. Sa part de gloire, d’ailleurs, reste encore assez belle pour qu’il ne faille pas la compromettre en l’exagérant. Dans ce genre admirable du portrait, Van Dyck n’a pas seulement résumé tout ce qui avait été acquis, avant lui, soit dans les Flandres, soit en Italie, en fait de naturel, d’exactitude, de sensibilité. Il y apporta quelque chose de plus. L’aisance extraordinaire qu’il mit à dégager sans effort, de la figure humaine, tout ce qu’elle peut contenir, même chez les personnages les moins intéressans, de distinction morale, d’élégance corporelle, de charme communicatif, de personnalité expressive, fut d’un exemple surprenant, à la fois plein d’attraits et de périls, qui, dans tous les cas, ne peut plus être oublié. Peintre attentif d’une société raffinée, il se trouva, par suite de sa vie répandue, posséder, sans pédantisme, à un degré supérieur, cette pénétration psychologique qui est la qualité dominante, au XVIIe siècle, de tous les beaux esprits dans les grands centres de la civilisation européenne. Du bout de son pinceau alerte, historien impartial, curieux