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Cette fécondité, ces succès, cette prospérité n’étouffaient point cependant au cœur du peintre, ses aspirations, un instant refoulées, vers les magnificence de la vie anglaise. En 1630, l’un de ses amis, Endymion Porter, pour faire sa cour au roi Charles Ier, lui offrit une peinture de Van Dyck, Armide et Renaud. Ce petit tableau galant fit ce que n’avaient pu autrefois ni la recommandation de Rubens, ni celle du comte d’Axundel ; ce fut le talisman, qui ouvrit au grand portraitiste les portes, de White-Hall. L’impatience du peintre était telle qu’ayant appris que l’agent du roi à, Bruxelles, Balthasar Gerbier, chargé de négocier secrètement son départ, avait gardé vis-à-vis de. lui une discrétion trop longue au gré de ses désirs, il en conçut un dépit amer et lui joua un vrai tour de rapin. Il déclara qu’un de ses tableaux, acheté par Gerbier pour le roi, était un tableau faux. Le malheureux Gerbier, accusé d’ignorance ou même de pis, tremblant pour sa faveur, en fut réduit à ouvrir une enquête judiciaire. Le procès prouva l’authenticité de la toile. Van Dyck n’en avait jamais douté, mais il se tint heureux. d’avoir mystifié, en lui donnant une peur blanche, le trop prudent diplomate qui s’était permis de ne pas lui ouvrir avec plus d’empressement la route d’Angleterre.


IV

Le fait est que Van Dyck, une fois à Londres, se sentit sur son vrai terrain (avril 1632). Présenté cette fois par son ami Kenelm Digby, il obtint immédiatement la faveur de peindre le roi en pied et la reine en buste. Ces deux essais réussirent si bien qu’on lui commanda le grand tableau de la famille royale qui est aujourd’hui au château de Windsor. Il déploya cette fois une telle séduction dans le jeu des couleurs, donna une telle vivacité aux ressemblances, une telle délicatesse dans les expressions, avec un sentiment si délicieux de la beauté féminine chez la reine Henriette-Marie et de la grâce enfantine chez le prince de Galles en béguin et chez le petit duc d’York en maillot, que ses prédécesseurs et rivaux, Daniel Mytens et Cornélis Van Ceulen, se virent supplantés sans retour. L’un s’enfuit en Hollande ; l’autre s’alla cacher dans le comté de Kent. Van Dyck fut nommé peintre principal de leurs majestés ; le 5 juillet 1632, il reçut le titre de chevalier, si envié à Rubens, avec une chaîne d’or, sans laquelle il ne se montra plus ; le 17 octobre 1633, on lui assigna une pension annuelle de 2Û0 livres sterling. Le roi s’était occupé lui-même de son logement ; on a retrouvé une note de sa main portant ces mots : « Parler à Inigo Jones du logement de Van Dyck. » Il lui avait donné, à Londres, des appartemens et des ateliers dans l’ancien couvent de