liberté. Il y eut là un excès de pouvoir, regrettable sans doute, mais qui ne s’explique malheureusement que trop par les idées étranges qu’on se faisait alors de la justice. On aura peine à croire que le sort de ce philosophe soit resté pour ses contemporains et demeure encore aujourd’hui un mystère. Rien n’est plus vrai pourtant : Aristobule et Ptolémée nous ont transmis à ce sujet deux versions tout à fait différentes. Selon Ptolémée, Callisthène aurait fini ses jours sur la croix. Aristobule raconte, au contraire, qu’on se contenta de charger de chaînes le malheureux philosophe et qu’on le traîna ainsi, quand Alexandre quitta la Bactriane, à la suite de l’armée. Si la rancune du roi lui réservait un plus dur supplice, il ne paraît pas, d’après ce récit, qu’elle ait eu le temps de le lui infliger.
Pour peu qu’on veuille admettre comme authentiques les lettres si souvent citées par Plutarque d’Alexandre à Antipater, le témoignage d’Aristobule serait celui auquel il faudrait nous tenir. Alexandre aurait, en effet, écrit au gouverneur de la Macédoine : « Les jeunes gens ont été lapidés par les Macédoniens ; quant au sophiste, je le punirai avec ceux qui me l’ont envoyé. » Ces paroles contenaient-elles une menace indirecte contre le philosophe de Stagyre, trop indulgent pour les menées séditieuses qui, à cette époque, agitèrent la Grèce ? Charès de Mitylène l’a pensé : « Callisthène, dit-il, devait être jugé en présence d’Aristote. Retenu, en attendant cette confrontation, dans les fers, il mourut dans l’Inde, sept mois après son arrestation. »
Nous n’avons, en réalité, aucun moyen certain de résoudre ce problème historique : l’assertion de Ptolémée serait assurément d’un grand poids, si Ptolémée eût donné à un événement de cette importance le développement qu’il n’a pas refusé à des incidens beaucoup moins faits pour frapper les esprits. Le supplice d’un philosophe qui paraît avoir tenu un haut rang dans la science et dont la mort devait émouvoir si douloureusement la Grèce est déjà bien invraisemblable ; il le devient cent fois plus encore quand je le vois laisser sans émotion le futur roi d’Égypte. Un manuscrit tronqué ou défiguré, telle est la seule explication plausible que je trouve à l’indifférence apparente de cet ami aussi généreux qu’éclairé des lettres. Accorderai-je plus de foi à l’avis menaçant que Charès ne craint pas de faire adresser à un précepteur qui mettait si justement son orgueil dans la gloire de son royal élève ? Aristote, selon toute apparence, avait plus à craindre les vengeances de la réaction athénienne que le courroux soupçonneux d’Alexandre. Qu’il me soit donc permis, à mon tour, d’essayer de déchiffrer l’énigme qui a embarrassé Arrien et Plutarque. Callisthène, suivant moi, a