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longs siècles, le monde put former. Tristes ideas ! J’ai lu, il y a trente ans, ces deux mots tracés par une main inconnue sur des ruines portugaises, et je ne sais pourquoi la mélancolique inscription me revient aujourd’hui en mémoire. Si ce Trajan ou cet Alexandre, en effet, voit sa raison brusquement se troubler, si son mécanisme intellectuel, pour parler le langage moderne, tout à coup se détraque, quelle course échevelée va soudain emporter les chevaux de Phaéton !

Il ne faut pourtant pas trop se hâter, à mon sens, de décréter de folie les grands hommes. Ce sont souvent des yeux myopes qui les jugent. Quand le premier consul fit rouvrir la vieille basilique et signa le concordat de 1801, on sait par quelles amères railleries, par quels factieux murmures fut accueilli cet acte réparateur. Il eût été moins difficile peut-être au vainqueur des Pyramides et de Marengo de se faire proclamer dieu ; quelques années plus tard, il l’était devenu pour la majorité du peuple français. Alexandre ne demanda qu’une place dans le Panthéon où s’entassaient pêle-mêle, depuis des siècles, les divinités apportées en Grèce par les colonies phéniciennes. Songer à s’élever, non pas pour les Grecs et les Macédoniens, qui n’adoraient même plus leurs anciens dieux, mais pour les Perses, pour les Mèdes, pour les Bactriens et, les Sogdiens, pour les peuplades sauvages qui se prosternaient à cette heure devant une pique, songer à s’élever pour tous ces Asiatiques au niveau d’Hercule, de Bacchus, des Dioscures ne semblera peut-être pas une prétention déjà si étrange. Quand nous nous faisons de la divinité cette idée sublime que nous devons à la prédication de l’évangile, quand nous voyons en elle l’essence de toutes choses, l’âme et la Providence toujours en action de l’univers, il ne saurait entrer dans la pensée d’un chétif atome de briguer ni même d’accepter, quel que soit son mérite ou son outrecuidance, l’hommage dû à l’être suprême. Vous semblera-t-il aussi insensé d’aspirer à l’Olympe, quand cet Olympe ne sera plus qu’un prytanée ouvert à tous les héros ? Admettons que quelque enthousiaste eût voulu canoniser saint Louis de son vivant, serions-nous bien venus à crier au blasphème, à gémir sur la bassesse des peuples et sur l’impudence des courtisans ? Tous les partis n’ont-ils pas eu leurs saints, et la passion populaire n’a-t-elle pas réclamé maintes fois pour ses idoles d’un jour les plus pompeux asiles ? C’est un saint du paganisme, ce n’est pas un dieu que le poète Agis, citoyen d’Argos, et le Sicilien Cléon s’imaginent avoir découvert dans le fils de Philippe. Je ne les excuse pas, je les explique. Leur zèle est prématuré sans doute : bien plus coupables seraient ceux qui, Alexandre mort, lui refuseraient les honneurs rendus à Hercule.

Laissons de côté les poètes : leur enthousiasme est toujours de