Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 50.djvu/166

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le salut même de ses troupes, sentait la nécessité impérieuse de demeurer toujours environné. Rabaisser ses exploits et ceux de ses compagnons, c’était en réalité combattre pour les Perses. Le jour où les Macédoniens ne se seraient plus figuré qu’ils acquéraient par leurs durs travaux des titres impérissables à une gloire immortelle, comment les eût-on empêchés de demander à regagner leurs foyers ? Alexandre avait puni Parménion pour une trahison qui n’était guère plus ouverte, mais on ne se résout pas à punir aussi facilement que l’imaginent sans doute ceux qui n’ont jamais exercé à un degré quelconque le pouvoir. La mort d’un homme pèse longtemps et d’un poids bien lourd sur la conscience. Cette fois, ce n’était pas un lieutenant hautain, presque un rival qui semblait conspirer ; c’étaient les compagnons des premiers combats, les amis des heures de détresse qui épanchaient l’amertume de leur âme en discours séditieux ; c’était Clitus, entre autres, Clitus, le frère d’Hellanice, dont le sein a nourri Alexandre ; Clitus, qui, au Granique, couvrait de son bouclier la tête désarmée du roi ; Clitus qui vient de perdre deux fils dans les champs de l’Asie. Vis-à-vis d’un pareil coupable, l’extrême sévérité serait une injustice ; il faut se borner à l’éloigner. L’occasion s’en présente et le roi la saisit. Le grand âge d’Artabaze devenu, depuis la mort de Darius, un des satrapes les plus fidèles d’Alexandre, ne lui permettait plus de garder des frontières destinées à être sans cesse menacées par les Scythes ; le fidèle serviteur demande à être déchargé du gouvernement de la Sogdiane et de la Bactriane. Alexandre cède à sa requête et lui donne sur-le-champ Clitus pour successeur.

On n’honorait pas, à cette époque, les dieux seulement par des sacrifices ; on les honorait aussi par des festins, ou plutôt, si on leur immolait des victimes par centaines, c’était surtout pour en couvrir des tables qui ployaient sous le poids des mets. De là probablement tant de banquets publics. Les Macédoniens avaient consacré un jour à Bacchus : quelle dévotion fut jamais mieux faite pour autoriser l’orgie que ce culte bruyant voué au dieu du vin ? Respectueux des coutumes nationales, Alexandre avait jusqu’à ce jour rendu fidèlement au fils de Sémélé les honneurs qui lui étaient dus. L’armée venait de reprendre à Maracande les cantonnemens d’où elle n’était sortie que pour réprimer la révolte des Sogdiens ; l’anniversaire religieusement fêté se présente : Alexandre décide que le sacrifice ne sera pas offert cette fois à Bacchus ; on sacrifiera aux Dioscures, aux deux fils jumeaux de Léda, protecteurs des marins, à Castor et Pollux. D’où put venir au roi de Macédoine la pensée de déposséder un dieu qui l’avait précédé dans l’Inde et qui semblait, en ce moment surtout, appeler ses hommages ? Alexandre espérait-il rendre ses vieux montagnards, « ses bêtes sauvages, » comme il