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de Dymnus il n’avait plus de doutes : Dymnus, au moment où les gardes allaient le saisir, s’est donné la mort. Mais que faisait au roi le projet criminel de Dymnus ? Ce qui intéressait le prince, et l’armée, et l’Asie, c’était le silence gardé pendant trois jours par le fils de Parménion. Si Alexandre eût pu obtenir de Philotas cet aveu qu’Henri IV essaya vainement d’arracher au maréchal de Biron, se serait-il déclaré satisfait ? Je n’oserais me permettre de le croire : la raison d’état a des exigences souvent inflexibles, et jamais les intrigues de Philippe II n’ont mis la France dans un péril égal à celui que courut en ce jour l’armée de Macédoine. Philotas, en tout cas, n’avoua rien ; il embrassa le roi, s’excusa d’un air dégagé de sa négligence et crut avoir tout dit quand il eut rappelé, pour se faire pardonner, ses services passés. Le malheureux osait follement se flatter de pouvoir rentrer dans ce cœur d’où la méfiance venait de le chasser à jamais. Alexandre lui tendit la main, l’invita même, assure-t-on, à souper ; dans la nuit, lorsque les feux du camp furent éteints, il fit investir sa tente par trois cents hommes ; le lendemain six mille soldats s’assemblaient pour juger le fils de Parménion.

Les vieux usages de la Macédoine réservaient à l’armée en campagne ce droit de vie et de mort que la république athénienne attribuait au peuple. Le rôle d’accusateur était le seul qui appartînt à l’autorité royale. Qu’importe ce partage ? Dans les jugemens déférés à la multitude, la responsabilité ne reste-t-elle pas tout entière à celui qui accuse ? Philotas eût été lapidé séance tenante si Alexandre n’eût jugé bon de faire suspendre jusqu’à plus ample informé la sentence. Une lettre de Parménion, saisie parmi les effets de son fils, contenait des expressions vagues dont le double sens pouvait être interprété comme la preuve d’une complicité secrète. Philotas cependant n’avait jamais cessé de protester de l’entière innocence de son père. Cratère, Éphestion, Cœnus, insistèrent pour qu’on recourût à la torture. Au milieu des tourmens, Philotas confessa le crime réel ou imaginaire que méditait le commandant de l’armée de Médie. Les supplices raffinés dont les tortionnaires se sont transmis d’âge en âge les atroces secrets ont, de tout temps, arraché aux infortunés qui demandaient à grands cris la mort comme une délivrance, les aveux dont on voulait se faire une arme contre eux. L’histoire n’a jamais tenu compte de ces confessions douloureuses. Néanmoins les détails dans lesquels, s’il faut en croire Quinte-Curce, entra, au sortir des mains du bourreau, Philotas, portent un caractère bien étrange de précision et de vraisemblance. « Ni lui ni son père, raconta l’infortuné patient, n’avaient trempé dans l’obscur complot de Dymnus, mais de mutuels sermens les liaient à Hégéloque, depuis le jour où Alexandre s’était laissé proclamer le fils de Jupiter. » Hégéloque, — on s’en souviendra peut-être, — était ce