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éclaireurs, les cavaliers étrangers dont Erygius avait le commandement, toute la phalange, à l’exception de 6, 000 Macédoniens laissés à la garde du trésor d’Ecbatane, les archers et les Agriens reçoivent subitement l’ordre de se mettre en marche ; Alexandre en personne se place à leur tête. L’armée s’ébranle et se porte à marches forcées vers Rhagès. On dut laisser en route un grand nombre de soldats épuisés de fatigue ; beaucoup de chevaux tombèrent sous leurs cavaliers ; rien ne put décider Alexandre à suspendre une poursuite qui, dans sa pensée, devait terminer la guerre.

A Rhagès cependant, nouvelle incertitude : Darius a franchi les Pyles caspiennes ; personne n’est en mesure d’indiquer de quel côté s’est dirigé le roi fugitif. S’est-il jeté dans les montagnes de l’Hyrcanie ? a-t-il continué sa route vers la Bactriane ? Alexandre s’arrête cinq jours à Rhagès ; cette halte lui donnera le temps de recueillir sur la direction qu’il doit prendre quelques renseignemens plus certains. Il est toujours difficile à la guerre de savoir où l’on doit aller chercher son ennemi ; la difficulté se trouve augmentée encore quand cet ennemi a devant lui des solitudes immenses. Dans le désert, une armée n’a qu’à se disperser pour se dérober aux recherches ; elle y disparaît comme un ruisseau qui se perdrait tout à coup dans les sables. Des transfuges toutefois se présentent bientôt au camp des Macédoniens : c’est d’abord Melon, l’interprète de Darius, puis Orsillus et Mithracènes, Bagistanes, un des principaux habitans de Babylone, Antibelus enfin, un des fils de Mazée. Tous annoncent que Darius, trahi par Nabarzane, qui l’accompagnait dans sa fuite avec mille chevaux, est emmené prisonnier par Bessus, satrape de la Bactriane. Pour ce rapt sacrilège, Bessus s’est assuré la complicité de Barsaente, satrape de la Drangiane et de l’Arachosie. Plus de doute ! c’est à travers les déserts de la Parthiène qu’on entraîne le monarque vaincu.

Comment la majesté royale put-elle perdre à ce point son prestige dans un pays sujet aux complots ténébreux et aux meurtres domestiques, mais qui, jusqu’à ce jour, n’avait jamais donné à des populations respectueuses et dociles le spectacle démoralisant d’une sédition militaire ? En se précipitant, les événemens avaient tout changé : ce n’était plus, hélas ! de soldats perses que Darius marchait entouré, les immortels pourrissaient à cette heure dans les champs d’Issus et d’Arbèles ; le commandement en chef appartenait encore nominalement à un Perse, les armes ne se rencontraient plus guère qu’aux mains des Bactriens. Artabaze, favori du roi, conservait un titre sans portée ; Bessus, en réalité, demeurait le général et le maître. J’ai peine à me figurer dans Bessus, en dépit de l’autorité d’Amen, un parent de Darius, un satrape semblable à Tissapherne ou à Pharnabaze ; je ne puis m’empêcher de voir dans