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concessions serait à peu près inutile. Le droit de contrôle dévolu à l’état vaut l’action directe.

Cependant, il s’est fait tant de bruit autour de cette question qu’il convient d’entrer dans quelques détails. Rappelons tout d’abord, au seuil de cette discussion, que l’état exploitant serait obligé de combiner ses services et ses prix de manière à retirer des chemins de fer un revenu net au moins égal à celui qui est obtenu par l’ensemble des compagnies. C’est bien ce que promettent les partisans du rachat, puisqu’ils affirment que, dans leur pensée, le changement de régime ne serait pas onéreux pour le trésor. De même que les tarifs actuels des compagnies rémunèrent les actions et les obligations, de même les tarifs de l’état auraient à rémunérer les capitaux et à payer les annuités que le trésor aurait à débourser pour prix du rachat. Donc, pour l’état comme pour les compagnies, le problème à résoudre se présente dans des conditions identiques. Il s’agit de tirer le meilleur parti des chemins de fer et de rendre le plus de services en recueillant un profit au moins égal au revenu actuel.

Les conditions essentielles d’une industrie ou d’un commerce quelconque ne se modifient pas d’une manière sensible selon que cette industrie ou ce commerce est exercé par un particulier ou par une société, ou, exceptionnellement, par l’état. Il faut produire au meilleur marché possible, satisfaire la clientèle, l’attirer par un service exact et par le bas prix, la disputer à la concurrence, aller toujours de l’avant et se défendre sans trêve dans les positions conquises. C’est la loi nécessaire et féconde de toute industrie, et nulle part peut-être cette loi n’est aussi impérieuse que dans l’industrie des transports. L’instrument de travail a besoin d’être constamment employé dans toute sa puissance ; le véhicule a tellement l’horreur du vide qu’il se résigne à charger sans profit, même à perte : une fois en route, il n’aspire qu’au plein. Il y a dans l’histoire déjà ancienne des messageries et du roulage des récits tout à fait épiques de la concurrence que se livraient les entreprises rivales. Plus récemment, les chemins de fer américains ont donné le spectacle de luttes effrénées.

En France, une organisation spéciale, des règlemens appliqués sous le contrôle de l’état épargnent aux chemins de fer ces excès de la concurrence ; mais, quelque soin que l’on ait mis à délimiter le domaine de chaque entreprise, ce serait une erreur de croire que les lignes françaises peuvent être exploitées avec la sécurité qui appartient au monopole. Sans compter la concurrence qu’elles se font entre elles dans les portions limitrophes de chaque réseau, elles ont à lutter contre les canaux, contre le cabotage, contre les chemins étrangers, et elles ne soutiennent cette lutte qu’en modifiant,