Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 49.djvu/957

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par le jeu perpétuel des antagonismes, par les efforts des Turcs pour ressaisir jusque dans leurs défaites un peu de leur puissance à la faveur des divisions européennes, par l’incompatibilité de races ennemies, par l’incohérence de populations mal soumises. Elle se réveille tantôt sur un point, tantôt sur un autre point, à tout propos et sous toutes les formes; elle se manifeste comme aujourd’hui par une insurrection nouvelle dans l’Herzégovine aussi bien que par ces complications égyptiennes qui ont l’air de prendre quelque gravité, où se retrouvent toujours les mêmes élémens, et l’anarchie orientale et les conflits d’influences.

Chose singulière ! lorsqu’il y a six ou sept ans déjà, se préparait la guerre dont le traité de Berlin a consacré les résultats, le premier prétexte, le préliminaire de cette guerre était l’insurrection qui avait éclaté dans la Bosnie et dans l’Herzégovine, qui excitait bientôt la Serbie et le Monténégro à prendre les armes. Deux années durant, la diplomatie européenne s’épuisait en négociations, en mémorandums de toute sorte, en programmes de réformes qu’elle proposait au sultan; elle ne se faisait faute d’exposer les griefs des insurgés, les exactions, les abus, les iniquités de l’administration turque. Aujourd’hui tout est changé. Ce n’est plus le sultan qui règne dans ces provinces, c’est l’Autriche qui a reçu de l’Europe, comme on le dit, « le mandat d’occuper et d’administrer » la Bosnie et l’Herzégovine. C’est l’Autriche qui a maintenant à faire face aux insurrections qui assaillaient autrefois la Turquie, et ce qu’il y a de plus curieux, c’est que les griefs des nouveaux insurgés sont à peu près les mêmes. On reproche à l’Autriche d’avoir assez stérilement employé ces trois dernières années d’occupation, de n’avoir réalisé aucune des réformes qu’on demandait jadis si impérieusement aux Turcs, de n’avoir ni régularisé la justice, ni amélioré le système agraire, ni allégé les impôts. L’esprit de révolte n’a pas tardé à renaître contre les nouveaux occupans ou les nouveaux maîtres, et la récente application du recrutement militaire n’a fait que l’enflammer. La vérité est que l’insurrection a pris rapidement des proportions inquiétantes. Elle s’étend des bouches de Cattaro et du littoral dalmate jusque dans l’intérieur de l’Herzégovine et même en Bosnie... Elle a des retranchemens inaccessibles aux confins du Monténégro. Les insurgés, par bandes de deux cents ou trois cents se répandent de tous côtés, pillant, commettant de véritables atrocités, et le mouvement a cela de caractéristique qu’il est l’œuvre moins des musulmans que de la population chrétienne orthodoxe particulièrement surexcitée. Bref, c’est le renouvellement des anciennes insurrections, non plus cette fois contre les Turcs, mais contre les Autrichiens, qui paraissent avoir été un peu surpris, qui ont eu jusqu’ici quelque peine à tenir tête aux bandes dont ils sont entourés. Le gouvernement