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tout n’est pas pour le mieux dans ces actes contradictoires, dans ces nouveaux décrets qui viennent, à si courte distance, abroger de précédens décrets, les uns et les autres invariablement signés par M. le président de la république, c’est peut-être vrai. Il y aurait seulement à tirer de cette malencontreuse expérience une moralité qui apparaissait déjà distinctement il y a deux mois dans une discussion serrée et vive engagée entre le dernier président du conseil et M. Ribot : cette moralité, c’est qu’il serait plus que temps d’en finir avec ces procédés, d’éviter dorénavant de tout bouleverser à chaque changement de cabinet, de multiplier les ministères par des caprices d’omnipotence ou de camaraderie; c’est qu’il peut sembler extraordinaire que sous la république, dans un régime libre, on se croie le droit de remanier les plus grands services de l’état, de créer des nécessités de crédits permanens par un décret, lorsqu’on ne peut pas même modifier la condition de la plus modeste municipalité ou engager la plus simple dépense sans une loi. C’est d’autant plus vrai que ces créations de circonstance nées d’une fantaisie sont le plus souvent sans durée et qu’en définitive elles coûtent cher.

Le fait est que ce ministère de deux mois, dont le nouveau cabinet est occupé à liquider la succession depuis quinze jours, aura eu une destinée singulière; il aura passé son temps à tout remuer, à tout agiter pour ne rien faire et sa courte existence se solde aujourd’hui par ces créations artificielles de ministères qui n’auront été qu’une dépense inutile, par ce plan de révision constitutionnelle qui a disparu avec lui, par ces projets de réformes posthumes qu’il produit maintenant, qu’il aurait tout aussi bien fait de garder dans son portefeuille. De ce règne ministériel de deux mois, il ne reste vraiment à peu près rien, si ce n’est le souvenir d’une déception mêlée d’ironie, et cette impression à peu près universelle que si, à la dernière heure, M. Gambetta a su tomber avec quelque fierté, même avec habileté, il avait certes tout fait pour mériter sa chute. On le voit, on le sent mieux aujourd’hui : M. Gambetta n’avait créé qu’un mirage qu’il a lui-même contribué à dissiper. Il n’avait montré le discernement supérieur d’un politique ni dans le choix des hommes, ni dans la direction des affaires. Avec sa puissance de parole et ses ressources de tacticien, il retrouvera un rôle, et dans tous les cas il reste toujours un chef dangereux d’opposition contre les cabinets qui pourraient se succéder; mais avant de redevenir pour sa part un prétendant sérieux au pouvoir, il a évidemment à s’éclairer sur les causes de sa dernière mésaventure, à se refaire d’autres idées, d’autres procédés, une autre position. Il a besoin de reconstituer son crédit, de se rendre mieux compte des conditions du gouvernement, et en vérité si quelque chose peut, au lieu de relever son crédit, achever ou aggraver la défaite qu’il a récemment