Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 49.djvu/918

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’invention. La tentation était grande pourtant de recourir à un contraste forcé pour rendre ridicules ou grotesques ces adversaires des dieux ; mais ce procédé vulgaire répugnait à la dignité d’un art qui recherche avant tout la beauté. Ces personnages multiformes possèdent, concentrées en eux, toutes les puissances que la nature nous montre dispersées dans l’univers. Quelques-uns ont une configuration purement humaine, et avec leurs visages pleins de jeunesse et d’élégance, ils paraissent eux-mêmes des dieux. La forme animale, qui ne s’accentue que chez les plus âgés d’entre eux, met à leur service la rapidité, la force, la souplesse et les instrumens de combat et de destruction les plus redoutables. Les uns sont pourvus d’ailes assez robustes pour les soutenir; d’autres, les plus terribles, allient les formes humaines à celles des reptiles. Le bas de leur corps se termine par des queues de serpens qui, de tous côtés, se glissent ou se replient pour enlacer ou pour broyer, menaçantes et dressant au bout de leurs anneaux des têtes qui cherchent à mordre. D’autres encore, d’allures plus bestiales, avec l’encolure épaisse du taureau ou avec la gueule et les griffes du lion, se ruent pleins de rage au fort de la mêlée pour écraser ou déchirer leurs ennemis. Çà et là enfin, d’énormes chiens, la meute d’Artémis, lancés entre les combattans, s’attachent à leurs jambes, leur sautent à la gorge et mêlent leurs aboiemens aux cris de douleur, au craquement des os, à tous les bruits sinistres que provoque cette lutte acharnée. C’est le dernier assaut ; à coups de pierres ou d’énormes quartiers de roche, le combat se poursuit avec une frénésie sauvage. A l’endroit même où, entamée par l’escalier qui, à chacun de ses degrés, vient en diminuer le champ, la frise va finir, l’artiste voulant jusqu’au bout profiter de l’espace qui lui reste encore, a sculpté, tout à l’extrémité, la tête redoutable d’un serpent qui arrive, par un extrême effort, à étreindre dans sa gueule les serres de l’aigle de Jupiter.

Contre des ennemis pourvus de telles armes la lutte paraît inégale. Mais, en face de ces créatures monstrueuses et de leur élan désordonné, les dieux gardent leur sérénité et s’opposent aux assaillans avec l’ascendant d’une nature supérieure. Jeunes et calmes, ayant pour eux le prestige de leur beauté et de leur intelligence, ils semblent vouloir ménager leurs adversaires. Sans haine, sans colère, ils résistent et on sent qu’ils triompheront. Ces forces coalisées contre eux, ils ne veulent pas les détruire. Disciplinées et asservies, elles doivent concourir à l’ordre universel et vivre contenues dans de justes limites. Sans troubler l’harmonie établie, ces fleuves, cet océan, tous ces autres géans fils de la terre conserveront leur action, et dans le tumulte des flots, dans les déchaînemens de l’orage et les ébranlemens du sol, ces révoltés désormais impuissans essaieront