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qu’une des routes secondaires du commerce oriental. Des marchandises arrivant des Indes par le canal de Suez à destination de France, d’Italie, d’Angleterre et d’une partie de l’Allemagne iront tout droit à Marseille, à Brindisi et à Trieste. La ligne de Salonique ne desservira que quelques provinces de la Turquie et de l’Autriche. La vraie ligne du commerce universel, celle qui passera par Philippopoli, Bucharest, Pesth et Vienne, pour aboutir au centre de l’Europe, partira toujours de Constantinople. Ajoutez que l’Anatolie, que l’Asie-Mineure tout entière, avec ses inépuisables richesses, est située en face de Constantinople et que la ligne de l’Euphrate et du Golfe-Persique, lorsqu’elle sera créée, viendra déboucher bien près des Dardanelles. Si elle renonce, comme tout semble le faire supposer, à un retour d’influence en Allemagne pour disputer à la Russie la direction des Slaves orientaux, l’Autriche-Hongrie pourrait-elle donc se contenter d’une part médiocre et livrer à sa rivale la position commerciale, politique et militaire qui commande l’Orient tout entier ? L’Autriche-Hongrie et la Russie sont lancées dans la même direction avec une telle vitesse qu’on peut craindre sans cesse que le choc ne se produise trop tôt entre elles deux. Lorsqu’on étudie avec soin leur situation respective, il est impossible de ne pas la comparer à celle de la France et de l’Allemagne avant la guerre de 1870-1871 et de ne pas se rappeler les terribles et prophétiques avertissemens de Prévost-Paradol : « Jamais, disait-il, depuis que le monde existe, l’ascendant ou, si l’on veut, la principale influence sur les affaires humaines n’a passé d’un état à l’autre sans une lutte suprême qui établit, pour un temps plus ou moins long, le droit du vainqueur au respect de tous. Tant que ce choc n’a pas eu lieu, tout le monde sent instinctivement que rien n’est décidé, et toute prétention à une grandeur ancienne comme toute assertion d’une grandeur nouvelle sont provisoires. Certes, tout philosophe doit gémir de cet état de choses, mais il existe, il est aussi ancien que le monde, il a ses fondemens dans la nature humaine et dans la manière d’être des sociétés politiques, et rien n’autorise à croire qu’il soit sur le point de changer… La France et la Prusse (on devrait dire aujourd’hui la Russie et l’Autriche-Hongrie) ont été de loin lancées pour ainsi dire, l’une contre l’autre à peu près comme deux convois de nos chemins de fer qui, partant de points opposés et éloignés, seraient placés sur la même voie par une erreur funeste. Après de longs détours, moins longs pourtant qu’on ne pensait, ces deux trains sont en vue l’un de l’autre. Hélas ! ils ne sont pas seulement chargés de richesses ; bien des cœurs y battent qui ne sont animés d’aucune colère et qui ne sentent que la douceur de vivre. Combien le sang qui va couler coûtera-t-il de larmes ! Personne ne