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été seuls atteints ; la Banque ottomane, par exemple, avait reçu, en paiement d’une avance faite au trésor, des havaley sur la taxe des moutons. C’était un engagement précis, formel, un véritable contrat. Qu’importe ! il a suffi d’un ordre du sultan pour faire une petite banqueroute particulière, pour enlever à la Banque ottomane le gage qu’on lui avait donné, pour détruire une affectation. C’est ainsi que les choses se passent en Turquie. À quoi sert-il d’avoir entre les mains une promesse solennelle, un papier authentique ? Dans ce singulier pays, les promesses ne sont jamais que des promesses, le papier n’est jamais que du papier : autant en emporte le vent qui souille sans cesse sur le Bosphore et qui ne secoue pas plus aisément les arbres dont ses rives sont couvertes que les havaley du ministère des finances !

Il faudrait un volume pour exposer en détail tous les vices de l’organisation financière de la Turquie et pour montrer la vanité des projets d’arrangement et de réformes dont on amuse la crédulité de l’Europe. Je n’ai fait qu’effleurer le système des havaley, qui mériterait une étude à part ; je n’entreprendrai même pas d’esquisser le mode de répartition et de perception des impôts. Il n’entre pas non plus dans mon plan de parler de la dette ottomane et du nouvel essai qu’on fait à l’instant même pour donner quelques satisfactions aux créanciers de la Turquie. En supposant que cet essai réussisse, les résultats ne pourront pas en être très brillans. Mais, si peu brillans qu’ils soient, ils resteront à la merci d’un caprice du sultan, toujours maître de retirer du jour au lendemain les affectations qu’il aura promises. Pour être assuré que l’œuvre réformatrice ne sera pas aussitôt détruite qu’inaugurée, on aurait besoin de garanties sérieuses, et ces garanties où les trouver ? Beaucoup de personnes, séduites par l’exemple de l’Egypte, proposent d’établir à Constantinople une commission internationale de contrôle qui aurait une sorte de droit de surveillance sur les finances turques. Le congrès de Berlin s’était prononcé virtuellement pour la création de cette commission. « Les puissances représentées au congrès, disait le protocole du 11 juillet, sont d’avis de recommander à la Sublime-Porte l’institution à Constantinople d’une commission financière composée d’hommes spéciaux nommés par les gouvernemens respectifs et qui serait chargée d’examiner les réclamations des porteurs de titres de la dette ottomane et de proposer les moyens les plus efficaces pour leur donner la satisfaction compatible avec la situation financière de la Sublime-Porte. » Si l’on s’en tient à la lettre de cette recommandation diplomatique, le rôle de la commission se bornerait à faire une loi réglant la dette ottomane, indiquant les réductions d’intérêt à imposer aux créanciers et les revenus à affecter à ces intérêts réduits. Une commission du même genre a parfaitement