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aux autres administrations les revenus dont elles ont besoin, en Turquie, tout au contraire, chaque administrai ion a ses impôts spéciaux sur lesquels elle spécule comme une sorte de banque, traitant directement avec les contribua])les et les percepteurs. Les havaley ne sont pas autre chose que des bons sur telle ou telle province, sur telle ou telle taxe. Ainsi, par exemple, lorsqu’on fait la distribution des havaley, on décide que le ministère de l’instruction aura ceux qui concernent les impôts de la Mésopotamie, le ministère du commerce et des travaux publics ceux qui concernent la taxe des moutons et la dîme d’Anatolie, le ministère de la marine ceux qui concernent les produits de la Syrie, et ainsi de suite. Un même ministère reçoit d’ailleurs des havaley qui portent les uns sur un point situé à l’une des extrémités de l’empire, les autres sur un point situé à l’extrémité opposée ; les uns sur un impôt d’une nature, les autres sur un impôt d’une nature toute différente. Outre les moutons et la dîme d’Anatolie, on donnera, je suppose, au ministre des travaux publics l’impôt personnel de Bagdad. Toute cette distribution se fait sans ordre, sans méthode, au hasard des nécessités qui se produisent. Nanti de ses havaley, chaque ministère a le droit de se les faire payer directement, s’il le peut, par les gouverneurs et les percepteurs de province, ou, s’il le trouve préférable, de les négocier et de les vendre à des banquiers qui s’adresseront, de leur côté, aux gouverneurs et aux percepteurs de province, et qui tâcheront d’obtenir d’eux ce que le ministère n’obtiendrait pas. Comme on n’a aucun égard, dans le partage des havaley, aux commodités individuelles, il peut se faire que tel ministère qui n’a pas ou qui n’a presque pas d’agent en Asie-Mineure doive cependant alimenter sa caisse au moyen de revenus provenant de l’Asie-Mineure. Que peut-il faire pour se tirer d’embarras, sinon s’adresser aux intermédiaires, lesquels, hélas ! pullulent en Turquie ? Il en est de même des fonctionnaires auxquels on donne des havaley comme paiement de leurs traitemens ; car il est fort rare qu’un fonctionnaire soit payé en argent, et il doit s’estimer bien heureux s’il l’est en havaley. Seulement ce fonctionnaire habitera Constantinople, et le havaley qu’on lui délivrera portera sur un impôt d’Arménie, ou, réciproquement, il habitera la province et on lui délivrera un havaley sur la capitale. Ira-t-il entreprendre un voyage long et coûteux dans l’espoir problématique de voir son havaley soldé ? Non ; il le vendra à quelque homme d’affaires qui se chargera d’aller en toucher le montant. Enfin le système des havaley ne s’applique pas seulement aux administrations publiques et aux fonctionnaires, il s’applique encore aux banquiers avec lesquels la Porte est en relations continuelles. Veut-elle obtenir d’eux une avance quelconque ? Elle leur