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au sujet « des atrocités bulgares, » qui a fait oublier durant quelques mois à l’Angleterre ses intérêts les plus évidens et ses traditions les plus constantes, se cachait en réalité le vif mécontentement de créanciers spoliés par une nation sans honneur. La voix de M. Gladstone trouvait encore plus d’écho dans l’esprit irrité des porteurs de la dette ottomane que dans le cœur charitable des philanthropes émus des malheurs, à coup sûr fort cruels, mais nullement nouveaux, des chrétiens de Bulgarie. Et ce n’est point seulement les pertes passées qui causaient une si grande alarme ; les pertes à venir, que l’on prévoyait, ajoutaient à l’exaspération publique. Dans un siècle comme le nôtre, il est impossible que des provinces aussi fécondes que celles de la Turquie, que les contrées les plus fertiles du monde peut-être, continuent à rester en friche par la faute d’un peuple et d’une race sous les pas de laquelle la stérilité s’est toujours répandue. Il en résulte un dommage général, un appauvrissement universel. Les nations européennes sont unies aujourd’hui par des liens commerciaux et industriels tellement serrés, que, dès qu’on relâche ces liens sur un point, tout le monde en souffre. Il faut que celles où l’argent abonde, où l’épargne a créé des ressources disponibles, où l’esprit d’entreprise s’est développé avec la richesse, trouvent chez leurs voisins l’emploi du trop plein de force qui déborde de leurs frontières. Mais le peuvent-elles lorsque les gouvernemens auxquels elles se sont fiées trahissent indignement leur confiance, dilapident en folles dépenses les sommes qu’elles leur ont prêtées, les compromettent en spéculations malhonnêtes, puis, quand ces spéculations les ont conduits à la ruine, déclarent tout simplement qu’ils ne sauraient payer leurs dettes, qu’à l’impossible nul n’est tenu, et que tout le monde doit se résigner, comme eux, à la nécessité ? Certains pays regorgent de capitaux qu’ils ne sauraient plus mettre en œuvre dans la limite de leurs territoires. D’autres, à côté d’eux, sont remplis de trésors naturels, qui ne demandent que des capitaux pour surgir du sol et couler de toutes parts. En dépit des efforts d’une politique étroite ou d’un fanatisme odieux pour élever de peuple à peuple d’insurmontables barrières, il est inévitable qu’entre ces deux sortes de pays s’établisse un échange de services dont ils profitent autant les uns que les autres. Mais si la mauvaise foi, l’oubli de tous les engagemens, président à ces échanges, comment veut-on qu’il n’en résulte pas tôt ou tard de terribles froissemens qui aboutiront à des luttes violentes et à la guerre ?

L’excuse de la Turquie dans sa manière de traiter ses créanciers étrangers, — si l’on peut appeler cela une excuse, — c’est qu’elle ne traite pas autrement ses propres populations. Elle n’a fait qu’une