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modifications identiques à celles qui ont produit l’araméen[1], était l’alphabet en usage vers l’époque asmonéenne. Tout prouve que le Cohélet fut écrit et copié d’abord dans un alphabet très usé, très fatigué, avec des ligatures, où plusieurs lettres se ressemblaient, et qui présentait comme une série de traits verticaux se tenant entre eux et très faciles à confondre. On sent que le livre n’eut d’abord rien de sacré, rien d’officiel. Ce fut une écriture privée, longtemps gardée comme telle, copiée avec toutes les fautes qu’entraîne l’usage d’un caractère cursif.

La traduction grecque du Cohélet présente des caractères à part, qui invitent également à croire que le livre entra tard dans le canon et y fut rattaché comme une sorte d’appendice. Si cette traduction n’est point d’Aquila, elle est au moins de son école et de sa manière. Aquila traduisit au temps d’Adrien (vers 130 après Jésus-Christ), et sous l’influence des idées de Rabbi Aquiba[2]. Le principe fondamental de Rabbi Aquiba était que tout mot, dans le texte de la Bible, a une valeur par lui-même et ajoute une nuance au sens. Aquila en concluait que chaque mot hébreu doit être traduit par un mot grec. De tous les mots hébreux le plus vide de sens est sûrement la particule et, qui sert à marquer le régime direct du verbe. Un traducteur grec raisonnable a rempli son devoir quand il a mis à l’accusatif le mot précédé de cette particule. Aquila ne l’entendait pas ainsi. Il rendait systématiquement et par σύν, quoique cela ne fît en grec aucun sens. Traduisant, par exemple, le premier verset de la Genèse, il mettait « que Dieu créa σὺν τὸν οὐρανὸν ϰαὶ σὺν τὴν γὴν »[3]. Or cette particularité bizarre s’observe toujours dans la traduction grecque du Cohélet qui fait partie de la Bible grecque orthodoxe[4]. Cette traduction se distingue, d’ailleurs, par une littéralité extrême. Elle a donc été faite sous l’influence des idées de Rabbi Aquiba. Est-elle d’Aquila lui-même ? Cela est très douteux ; car une version grecque différente de celle-là figurait dans les Hexaples d’Origène sous le nom d’Aquila. Mais Aquila fit souvent plusieurs versions d’un même livre. Les deux versions, au moins, sont sûrement contemporaines ; car cette bizarre manie de rendre et par σύν dura très peu de temps. On la trouvait

  1. Se le représenter par l’inscription des Beni-Hezir, près de Jérusalem, à peu près contemporaine de Jésus-Christ.
  2. Voir l’Eglise chrétienne, p. 48 et suiv.
  3. Saint Jérôme, Ad Pammachium, de optimo genere interpretandi. (Opp., IV, IIe partie, p. 253 ; Martianay.)
  4. Grætz, Kohélet, p. 175 et suiv. Voir surtout Eccl., V, 17 ; III, 17 ; VIII, 8, 15, 17 ; IX, 15 ; XI, 7 ; XXII, 9, 14. Notez σύμπας ; pour et kol, IX, 1.