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les saints, et, quoique ses idées sur les longues prières[1], sur la croyance aux songes[2], sur l’observation de la loi préférable aux sacrifices[3], se rapprochent de celles de Cohélet[4], le fils de Sirach est d’une tout autre école que notre sceptique auteur. Il est patriote. Or cette religion fondamentale de l’Israélite, qui meurt chez lui la dernière et survit à toutes ses désillusions, est à peine sensible chez Cohélet. Il n’est pas fier d’être Juif; on sent que, s’il doit se trouver un jour en rapports avec les Grecs et les Romains, il fera tous ses efforts pour dissimuler sa race et faire bonne figure, aux dépens de la Loi, dans le high life de son temps.


IV.

A quelle date précise rapporter notre singulier petit livre ? Cette question est pour la critique l’objet de sérieux embarras. Autant il est facile de classer idéalement le Cohélet, je veux dire de lui assigner sa place dans l’histoire morale d’Israël, autant il est difficile de fixer absolument le siècle où il a été composé. L’histoire littéraire du peuple juif offre des lacunes énormes, et les considérations a priori sont, en pareille matière, singulièrement dangereuses. Telle pensée qui paraît d’ordre moderne fit peut-être son apparition, dans quelque coin perdu du développement d’Israël, à une époque ancienne. Telle pensée qui paraît primitive est souvent, chez ce peuple étrange, contemporaine de l’empire romain.

On peut dire que la littérature hébraïque de compose de deux floraisons, séparées par un désert aride de trois cents ans. L’ancienne littérature hébraïque, comprenant la plus grande partie de la Bible, était close vers l’an 500 avant Jésus-Christ. L’état littéraire de la période qui suit, et qui correspond à la domination perse, nous est tout à fait inconnu. Il en faut dire autant de l’époque d’Alexandre et du IIIe siècle avant Jésus-Christ. La lumière reparaît au IIe siècle avant Jésus-Christ. Vers l’an 170 a lieu cette éruption extraordinaire de l’enthousiasme juif qui produit les livres de Daniel, d’Hénoch, et beaucoup d’autres écrits dont l’original hébreu s’est malheureusement perdu. Cette veine littéraire se continue par l’Assomption de Moïse, l’Apocalypse d’Esdras, l’Apocalypse de Baruch, les livres de Judith, de Tobie, contemporains de l’apparition de la nouvelle Bible chrétienne, et qui également ne nous ont été conservés que par des traductions grecques, latines ou orientales.

  1. Chap. VII, 15, 33 et suiv.
  2. Chap. XXXIV, init.
  3. Chap. XXXV, init.
  4. Comparez aussi ses idées sur le danger des femmes (ch. IX, XXV, XXVI, XLII), sur l’agriculture (ch. VII, 16), à Eccl., VII, 25 et suiv.; V, 8.