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Le ministère est donc constitué et il a même, si l’on veut, ce que nous appelons une certaine apparence. La question pour lui maintenant est de vivre, d’entrer en action, de se faire une position devant l’opinion et devant les chambres. L’œuvre n’est point impossible, sans doute ; elle reste passablement difficile par des raisons personnelles autant que par des raisons parlementaires. Disons le mot, M. de Freycinet a été président du conseil et il n’a cessé de l’être que pour rester fidèle à la politique relativement modérée qu’il voulait suivre, que ses collègues ont refusé de suivre avec lui. M. Jules Ferry, à son tour, a été chef de ministère à la place de M. de Freycinet, à qui il a succédé immédiatement pour représenter une politique plus accentuée, pour se lancer dans une campagne à outrance contre les communautés religieuses, — dans cette campagne où M. le général Billot, si l’on s’en souvient, s’est distingué par un siège mémorable ! M. Léon Say, de son côté, n’a pas moins de titres que ses collègues à la présidence du conseil, et il était hier encore président du sénat. Voilà donc trois hommes d’une importance égale, de litres égaux, qui se trouvent réunis dans un cabinet sous l’infiuence d’une pressante nécessité du moment. Il s’agit de savoir ce que durera cette alliance plus ou moins diplomatique. L’expérience ne laisse pas d’être curieuse ; mais ce n’est pas tout encore. Ce ministère né de la dernière crise, il se trouve après tout dans des conditions singulières : il représente en grande partie la minorité qui a suivi M. Gambetta jusqu’au bout. Le nouveau cabinet cherchera-t-il un appui dans cette minorité ? Essaiera-t-il de conquérir des amis dans la coalition incohérente qui a formé la majorité du 26 janvier ? Le ministère sera-t-il modéré, et s’il s’attache à une politique de modération, réussira-t-il à se soutenir longtemps dans le parlement, à s’assurer une majorité suffisante ? Se croira-t-il, au contraire, obligé à payer la rançon de ses embarras en flattant encore une fois les passions de secte qui règnent dans la chambre des députés ? La situation reste assurément compliquée avec toutes les questions obscures qui s’agitent, avec des partis troublés, passionnés, et un chef de cabinet d’hier pouvant redevenir à son jour et à son heure un chef d’opposition. Elle est d’autant plus difficile, cette situation, que, de toutes parts, sous toutes les formes, les plus sérieux intérêts publics sont engagés, qu’il y a ces crises financières du moment à pallier, des traités de commerce à signer, un état diplomatique universels surveiller. La meilleure politique pour le moment serait celle qui s’occuperait de ces intérêts en commençant par assurer la paix intérieure, tout au moins une trêve de quelque temps à la France, dont les partis semblent se plaire à épuiser les forces et la patience.

Ch. de Mazade.