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ces tentatives de revision ont été la démonstration la plus saisissante de la nécessité de deux assemblées, de telle sorte que, dans cette mêlée où tous les pouvoirs se sont trouvés engagés, le sénat seul reste avec quelque avantage, tandis qu’un cabinet a déjà disparu et que la chambre des députés en est à savoir ce qu’elle a voté, ce qu’elle veut réellement. C’est la moralité de l’aventure.

Et maintenant que tout cela est plus ou moins accompli, que le dernier mot de ces confusions a été une crise ministérielle provoquée par une chambre troublée, acceptée par un chef impatient de domination, il reste à savoir ce que fera, ce que pourra faire le cabinet nouveau qui vient de se constituer dans des circonstances certainement difficiles. De l’œuvre de M. Gambetta il ne reste à peu près rien, ni le personnel, ni ces créations de fantaisie imaginées pour multiplier les portefeuilles. Les beaux-arts reviennent à l’instruction publique, les cultes reviennent à la justice ; les colonies ne sont plus séparées de la marine. Le cabinet qui se reconstitue rentre dans les conditions ordinaires et traditionnelles, et, à première vue, à ne considérer que les noms de ceux qui le composent, on ne peut pas dire qu’il soit dénué d’une certaine apparence, ni même nouveau. Qu’en est-il en effet ? C’est M. de Freycinet qui redevient président du conseil et ministre des affaires étrangères comme il l’était au mois de septembre 1880, au moment où il se retirait plutôt que de se laisser entraîner par ses collègues dans l’exécution violente des décrets contre les congrégations religieuses. C’est M. Jules Ferry qui rentre au ministère de l’instruction publique, où il tiendra peut-être, il faut du moins le désirer, à montrer quelque mesure, ne fût-ce que pour ne pas ressembler à M. Paul Bert. M. l’amiral Jauréguiberry revient à la marine, où il a déjà été, de même que M. Tirard revient au commerce et M. Varroy aux travaux publics. Le ministre le plus nouveau est M. le général Billot, le successeur à la guerre de M. le général Campenon, le seul des collègues de M. Gambeita qui laisse de bons souvenirs. Évidemment, dans cette combinaison, le personnage principal, celui dont la présence au pouvoir a une signification particulière, c’est M. Léon Say, qui reprend la direction des finances. L’accession de M. Léon Say est d’autant plus sérieuse qu’elle a été librement débattue ; le nouveau ministre des finances paraît n’avoir accepté de rentrer aux affaires qu’à une condition, — c’est qu’on ne parlerait plus ni du rachat des chemins de fer, ni de conversion de la rente, ni de nouvelles émissions de la dette pour les travaux publics ; c’était une nécessité de prévoyance dans un moment où les difficultés financières, les désastres du marché des fonds publics à Paris et à Lyon sont venus tristement se mêler à la crise politique. M. Léon Say a eu l’avantage d’être considéré par le monde des affaires et de l’industrie comme une garantie vivante. C’est ce qui fait son importance et sa force dans le conseil.