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des élections nouvelles pour la première chambre. La vérité est qu’on ne raisonne pas, que cette assemblée du palais Bourbon par ses effaremens, par ses âpretés, par la candeur d’égoïsme avec laquelle elle se retranche dans son scrutin d’arrondissement, n’a pas grandi devant l’opinion. Elle recule instinctivement à la seule pensée d’une dissolution prochaine, et par le désordre, par le décousu de ses délibérations, elle a peut-être fait depuis quelques jours plus de chemin qu’elle ne le croit vers cette dissolution. Elle ne date que de quelques mois, elle a déjà donné la mesure de son esprit politique, et c’est ainsi qu’elle risque de courir au-devant des dangers qu’elle redoute, que, si M. Gambetta a été vaincu, la chambre elle-même n’est peut-être pas sortie de ces discussions plus forte, plus considérée, plus sûre de son avenir.

Ce qu’il y a de plus curieux, de plus caractéristique dans ces luttes, dans ces confusions du moment, c’est que de tous les pouvoirs celui qui semblait le plus menacé, le sénat, est par le fait celui qui a le plus gagné, qui reste le plus intact ou le moins compromis. Le sénat a eu la bonne fortune de n’avoir pas à se prononcer, il est resté le spectateur silencieux de ces agitations où l’on mettait en jeu son existence, où l’on disposait de son sort sans lui et contre lui. Les uns, les plus expéditifs, les radicaux, parlaient tout simplement de le supprimer pour doter la France des bienfaits d’une convention nouvelle ; les autres, les plus modérés, se bornaient à vouloir réduire ses attributions budgétaires et changer le système de l’électorat sénatorial. Ces réformateurs de constitution ont si bien conduit leur entreprise qu’ils en sont venus à ne plus s’entendre, même à se dévorer un peu entre eux, et de cette revision en définitive, il ne reste plus qu’un projet laborieusement puéril accompagné d’une résolution incohérente destinée sans doute à demeurer ensevelie dans les archives de la chambre qui l’a votée. Voilà ce qui est arrivé sans que le sénat ait eu à s’en mêler ! En réalité, la campagne a tourné jusqu’ici contre ceux-là mêmes qui l’avaient si bruyamment engagée. Elle n’a pas réussi parce qu’elle ne répondait à aucun sentiment vrai, à aucun besoin du pays, à aucune manifestation sensible d’opinion, parce qu’elle n’était qu’une représaille contre quelques votes parfaitement légitimes d’une assemblée indépendante, parce que le jour où il a fallu en venir à la réalité, à quelque combinaison pratique, on s’est trouvé entre la puérilité et la violence, entre les « chinoiseries » et les aventures révolutionnaires. Elle a eu toutefois un avantage, cette singulière campagne révisionniste qui vient d’aboutir à une crise ministérielle et à un vote confus, stérile de la chambre. Elle a servi à éclaircir jusqu’à un certain point la situation, à la dégager du moins d’un certain nombre d’équivoques ou d’obscurités ; elle a montré ce qu’il y avait de factice dans cette agitation imprudemment déchaînée, ce qu’il y avait de vain dans ces projets de réformes constitutionnelles, ce qu’il y avait de nécessaire, d’utile dans