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qu’elle commençait à redouter après l’avoir poussé de ses vœux et de ses votes à la direction des affaires. Elle n’avait qu’à arrêter M. Gambetta, à lui faire comprendre distinctement qu’au lendemain des élections du dernier été et du 8 janvier, ce n’était pas le moment de songer à une revision qui laissait l’opinion indifférente, que le premier intérêt de la république elle-même était la stabilité des institutions et que le mieux serait de s’occuper des affaires sérieuses du pays. Si les partis qui dominent aujourd’hui au palais Bourbon, qui ont la prétention de disposer de la France, avaient montré par leur attitude et par leur langage qu’ils ne voulaient pas courir les aventures constitutionnelles, M. Gambetta se serait probablement arrêté, il aurait tout au moins ajourné ses projets, et on aurait évité la violente confusion qui vient de se produire. Malheureusement ce n’est point là du tout ce qui est arrivé. La revision ! tout le monde l’a voulue. A peine le mot a-t-il été prononcé par M. Gambetta dans le discours de Tours, l’été dernier, tous les candidats se sont hâtés de l’inscrire dans leurs programmes, et c’est à peine si quelques esprits courageux, comme M. Ribot, ont osé résister à l’entraînement. Aux récentes élections sénatoriales, le même mot d’ordre a présidé au scrutin, et c’est ainsi qu’un mouvement aussi factice qu’inutile a pris les proportions et les apparences d’une manifestation d’opinion qu’un chef de cabinet a pu désormais invoquer à l’appui de ses projets ; mais voici où la difficulté a commencé. La revision ! tout le monde la veut bien au palais Bourbon, tant qu’il ne s’agit que de l’appliquer au Luxembourg, de changer les conditions électorales et de réduire les attributions du sénat ; dès qu’on a vu poindre le scrutin de liste, la chambre des députés, se sentant atteinte ou menacée, a été prise aussitôt d’un véritable effroi ; elle s’est attachée avec une naïve frénésie d’égoïsme au scrutin d’arrondissement dont elle est issue. Qu’on réforme le sénat tant qu’on voudra, on ne doit pas s’occuper du palais Bourbon. Notez bien que lorsque, l’été dernier, le sénat a repoussé le scrutin de liste, ce vote a été justement un des griefs invoqués pour demander la revision, et c’est aujourd’hui la chambre qui se révolte contre ce qu’elle a elle-même déjà voté !

Ce malheureux scrutin de liste, que M. Gambetta est allé tirer de l’oubli dans des vues évidemment dictatoriales, c’est la condamnation de la chambre ! C’est la menace d’une dissolution prochaine presque au lendemain des élections de l’été dernier ! C’est tout ce qu’on voudra, et ceux qui se servent de ces argumens ne s’aperçoivent pas que ce qui est vrai pour le palais Bourbon doit l’être aussi pour le Luxembourg, que, si le scrutin de liste doit être repoussé parce qu’il entraînerait ou permettrait à courte échéance une dissolution de la seconde chambre, la revision du sénat doit être aussi repoussée parce qu’elle entraînerait