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nom pouvait à peine être compté, et il a été en définitive la première victime de cette étrange manière d’entendre le gouvernement. A quoi lui ont servi, nous le demandons, et M. Paul Bert avec ses circulaires bavardes où il recommandait de secourir de préférence les églises des communes bien pensantes, et M. Antonin Proust avec ses réorganisations ou ses désorganisations de tous les services des arts ? M. Gambetta n’a pas même songé à mener ses collègues avec lui au combat, il les a laissés à leurs circulaires ; il n’a compté jusqu’au bout que sur sa propre force, et si dans la malencontreuse expérience qu’il vient de faire il y a une chose évidente, c’est qu’un ministère ne vit pas avec un nom, c’est qu’un homme seul, quelle que soit son éloquence, ne suffit pas, c’est qu’un jour ou l’autre le pouvoir personnel finit par être meurtrier pour ceux-là mêmes qui ont la prétention de l’exercer.

La chute de M. Gambetta est donc la suite et l’expiation d’une série de fautes et de méprises qui ont commencé avec le ministère du 14 novembre, qui l’ont conduit à la déroute du 26 janvier. M. Gambetta n’a eu qu’une bonne fortune. Après avoir médiocrement gouverné pendant deux mois, il a eu l’art de tomber assez fièrement, il a su choisir son terrain pour vider sa querelle avec la commission des trente-trois. Le chef du dernier cabinet n’a pas laissé le débat arriver jusqu’au scrutin de liste ; il a eu l’habileté de fixer la lutte, le vote décisif sur cette question de la revision limitée et de la définition des droits du congrès. Ce n’est là qu’un coup de tactique, si l’on veut. M. Gambetta n’a pas moins réussi à se donner l’air de tomber en défendant une cause à demi conservatrice contre une coalition passablement incohérente, et ce premier vote une fois connu, il n’a pas laissé à ses adversaires le temps d’achever sa défaite ; il s’est retiré instantanément du combat sans marchander. Il est tombé pour ses fautes de gouvernement ; il s’est relevé par sa résolution du dernier moment, par la dextérité avec laquelle il a couvert sa retraite, et c’est là justement ce qui fait que jusque dans sa chute il garde l’importance d’un personnage parlementaire qui a su ne point épuiser d’un seul coup sa fortune.

Entre le président du conseil du 14 novembre et la chambre des députés, la lutte a été certes des plus curieuses, des plus vives, et si M. Gambetta a perdu le pouvoir, il n’est pas démontré que la chambre elle-même reste pour le moment dans des conditions bien victorieuses. La chambre a vaincu le premier ministre par qui elle se croyait menacée, dont elle subissait avec impatience les allures dictatoriales, c’est possible ; elle est peut-être bien plus menacée par ses propres passions, par ses incohérences et ses inexpériences. Oh ! assurément, si elle avait eu plus d’esprit politique, si elle avait été conduite par des chefs habiles, elle avait un rôle bien simple et rassurant pour le pays, un moyen parfaitement efficace d’avoir raison du président du conseil,