Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 49.djvu/713

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ditions électorales du sénat de manière à le fortifier, et d’un autre côté il réduisait les attributions financières de la haute chambre. Il proposait enfin, pour la reconstitution du sénat, tout un ensemble de combinaisons électorales qui ne laissaient pas d’être bizarres. Ainsi on n’aurait pas louché aux « inamovibles » qui existent aujourd’hui ; seulement, pour l’avenir, les nouveaux « inamovibles » n’auraient été nommés que pour neuf ans et ils auraient été élus par les deux chambres votant séparément, en sorte que si, à l’heure qu’il est, il y a deux classes de sénateurs, il y en aurait eu désormais trois ou quatre catégories dans la haute assemblée, sans parler des autres variétés qui auraient pu s’introduire dans cet ingénieux mécanisme. Bref, sous plus d’un rapport, le récent projet rappelait à s’y méprendre l’œuvre de cette fameuse commission des trente qui se réunissait autrefois, à la veille du 24 mai 1873, à l’époque du « gâchis ; » il reproduisait quelques-unes de ces combinaisons que M. Thiers, d’un mot piquant, appelait des « chinoiseries. » Tout cela manquait de sérieux, on aurait fini par s’y perdre ; mais à parler franchement ce n’était pas la question. Le point grave et délicat, c’est que M. Gambetta, en proposant à la chambre des députés de réviser le sénat, lui proposait aussi de se reviser elle-même par l’introduction du scrutin de liste dans la constitution. Il pouvait avoir raison ; puisqu’il tenait à cette revision que le pays ne lui demandait pas quoi qu’il en dise, qu’il avait plutôt imposée par ses mots d’ordre, il est certain qu’il restait logique en refusant de scinder les questions constitutionnelles, en proposant de régler en même temps, au moins en principe, les conditions électorales des deux assemblées. Seulement il ne prenait pas garde qu’avec son scrutin de liste il remuait toutes les susceptibilités d’une chambre qui vient de naître et qui n’a pas envie de mourir, il mettait le pied dans une fourmilière de passions et d’intérêts, il avait contre lui et ceux qui lui reprochaient de ne pas aller assez loin dans la revision et ceux qui l’accusaient d’aller trop loin, d’avoir soulevé des problèmes inutiles. Il ne s’apercevait pas qu’il avait trop attendu et qu’en présentant son projet après deux mois mal employés, il offrait un prétexte aux défections, un point de ralliement aux défiances, aux animosités, aux ressentimens qui avaient eu le temps de se former. M. Gambetta ne voyait pas que ces deux mois de règne avaient tout changé pour lui, et s’il avait encore des doutes ou des illusions, on allait le rappeler à la vérité ; on allait lui montrer qu’il n’était plus déjà l’homme puissant et obéi disposant de cette « légion » dont il parlait l’autre jour.

Qu’est-il arrivé, en effet ? A peine le gouvernement a-t-il eu présenté son projet de revision, une émotion extraordinaire s’est emparée de cette assemblée incohérente et troublée. L’esprit de révolte a éclaté, et aux propositions ministérielles la chambre a répondu sans plus tar-